02/03/12

La lutte contre la grippe aviaire passe par la transparence scientifique

L'Indonésie a des taux élevés de transmission de la grippe aviaire Crédit image: Flickr/ILRI

Envoyer à un ami

Les coordonnées que vous indiquez sur cette page ne seront pas utilisées pour vous envoyer des emails non- sollicités et ne seront pas vendues à un tiers. Voir politique de confidentialité.

Les efforts fournis limiter la publication de recherches controversées sur la grippe aviaire pourraient avoir plus d'inconvénients que d'avantages.

La semaine dernière, un garçon de 12 ans est mort en Indonésie après avoir été atteint par le virus H5N1 de la grippe aviaire. Cette mort a porté à 347 le nombre de décès dans le monde depuis que cette maladie a été signalée pour la première fois chez l'être humain en 2005.

A première vue, ce chiffre n'est pas trop alarmant par rapport aux millions de personnes qui décèdent d'autres maladies infectieuses. Et bien que le virus soit généralement mortel — environ 80 pour cent des personnes infectées en meurent – le taux global de l'infection humaine reste relativement faible.

Cela s'explique par le fait que la transmission du virus aux hommes se fait par le seul contact avec des volatiles infectés. Mais que se passerait-il si le virus pouvait se transmettre entre les humains?

Ce spectre a été agité par deux équipes de scientifiques, l'une travaillant dans un centre médical aux Pays-Bas et l'autre, à l'Université du Wisconsin aux Etats-Unis. Chaque équipe a génétiquement altéré le virus pour le rendre transmissible par l'air entre des furets – ceci implique qu'une souche semblable pourrait évoluer (ou être créée) et se propager chez les humains.

Les conséquences pourraient en être si désastreuse que l'an dernier, un organisme américain créé en 2005 pour étudier les risques potentiels pour la biosécurité que représentent des organismes créés en laboratoire, a recommandé de ne pas publier dans leur intégralité les articles portant sur les travaux soumis aux deux plus importantes revues scientifiques mondiales, à savoir Science et Nature..

L'argument avancé par le Comité consultatif national de la recherche scientifique pour la biosécurité (National Science Advisory Board for Biosecurity ou NSABB) était que ces informations pourraient être utilisées par des groupes terroristes ou des individus pour produire une puissante arme biologique responsable d'une épidémie mortelle si elle était lâchée dans la population humaine.
 

Les risques d'une restriction


Cet argument s'appuie sur une logique solide. Le fait de dissimuler les détails techniques nécessaires aux différentes étapes de production d'un virus mortel compliquerait certainement beaucoup la reproduction du processus.

Certains ont préconisé qu'on aille encore plus loin pour restreindre l'accès à de telles informations et ont appelé à l'interdiction de toutes les recherches qui pourraient créer de nouveaux virus potentiellement mortels. Leur argument est que la menace constituée par de tels virus, s'ils s'échappaient du laboratoire, est si grande que rien ne justifie seulement le risque pris pour effectuer des recherches.

Ces deux arguments présentent toutefois des failles. Ceux qui demandent la publication des informations sous une forme largement épurée risquent de refuser aux scientifiques l'accès à des données qui pourraient jouer un rôle essentiel dans la préparation de la défense contre le virus, telle que le développement de vaccins.

Une interdiction complète de la recherche pourrait avoir des répercussions similaires. La compréhension scientifique du virus de la grippe aviaire, de la façon dont il se propage et de la manière dont il mute, est essentielle pour réduire le risque d'une autre pandémie de grippe. Le virus de la grippe qui a balayé le monde en 1918 a tué près de 20 pour cent des personnes infectées, faisant environ 50 millions de morts.
 

Une stratégie de rechange


La communauté scientifique a mené au cours de ces derniers mois d'intenses discussions sur la,conduite à tenir avec les articles.

Le NSABB a commencé par suggérer comme solution l'édition de versions expurgées (révisées) des articles avec l'omission de certaines des principales données scientifiques et techniques.

Les deux revues auxquelles a été soumise la recherche explorent la manière de le faire tout en mettant des versions complètes de ces articles à la disposition des scientifiques sélectionnés après enquête pour s'assurer qu'ils utiliseraient les données de manière responsable.

Mais cette option n'a pas résisté à un examen approfondi. La majeure partie des données techniques de l'un des articles a ainsi déjà été présentée lors d'une conférence scientifique de sorte que les tentatives pour empêcher une diffusion large peuvent s'avérer inefficaces.

Une autre objection importante soulevée lors d'une conférence organisée par l'OMS à Genève le 16 février tenait à la difficulté de parvenir à un consensus international sur les critères pour mener une habilitation des scientifiques qui demandent des données complètes.
 

Des préoccupations en perspective


Après la conférence de l'OMS, Nature a déclaré dans un éditorial que les avantages de la libre publication l'emportaient sur les risques identifiés à ce jour, et qu'en principe, "les articles devraient finalement être publiés dans leur intégralité". [1]

De même, le rédacteur en chef de la revue Science a affirmé, dans une récente interview accordée à la BBC, que "notre position par défaut est que nous devons publier les articles sous leur forme complète". [2]

Une décision finale sera prise à l'issue de discussions supplémentaires à l'OMS. Mais cette position-ci est courageuse et correcte.

Un accès aussi large que possible des chercheurs aux données représente des avantages considérables pour la santé publique si l'on veut leur permettre de comprendre les mutations potentielles du virus.

Ces avantages l'emportent sur ceux d'une restriction de cet accès pour empêcher les données de tomber entre de mauvaises mains, d'autant que ces avantages qui risquent d'être de courte durée. A l'heure actuelle, les préoccupations en matière de biosécurité sont "trop générales et trop hypothétiques", selon Nature.

En outre, les sensibilités politiques pour décider qui sont les 'mauvaises mains', et qui devrait prendre cette décision, risquent d'accroître les tensions internationales qui planent déjà sur les tentatives de limiter la prolifération des armes de destruction massive, on l'a vu récemment pour le programme nucléaire de l'Iran.

Deux choses sont essentielles si l'accès aux données doivent être élargi. Tout d'abord, la libre publication doit être accompagnée d'un système de surveillance efficace. Celui-ci veillerait au mauvais usage qui pourrait être fait des données.

Ensuite, la question doit faire l'objet d'un débat public aussi large que possible, promu activement par les responsables de la santé et par les journalistes pour s'assurer de sa médiatisation.

Les pays en développement tels que l'Indonésie, qui détient les taux de transmission les plus élevés de grippe aviaire et compte le plus grand nombre de décès, ont un intérêt particulier dans le résultat de ce débat. Ils ont plus à gagner des nouvelles techniques de prévention de la transmission du virus, comme des vaccins efficaces, que des restrictions imposées à la publication de ces données.

Les préoccupations concernant la biosécurité ne doivent pas être exagérées. Elles sont certes importantes, mais ne devraient pas nous empêcher de nous concentrer sur l'urgence de développer une protection adéquate contre une forme évoluée du virus, qu'elle soit naturelle ou artificielle.
 

David Dickson
Rédacteur en chef, SciDev.Net

Références

[1] Flu papers warrant full publication (Nature 482, 439 (2012))
[2] Journal's concern over bird flu research (BBC News online, 17 February 2012)