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Pour Athar Osama, la promesse de collaboration scientifique avec le monde musulman faite par le président Obama est loin d'être tenue

Les musulmans du monde entier avaient suivi attentivement le discours prononcé par le président américain Barack Obama à l'Université du Caire en juin 2009.

Dans son discours historique, qui a eu un écho positif mais prudent, Obama a reconnu le passé glorieux de la civilisation musulmane et lui a tendu une main d'amitié et de réconciliation. Il y prenait également l'engagement d'aider les pays musulmans dans les domaines de l'éducation, du développement économique, de la science et de la technologie.

Faisant suite à ce discours, la Maison Blanche a nommé au mois de février dernier trois envoyés scientifiques dans le monde islamique, et annoncé le mois dernier qu'elle s'apprêtait à en nommer trois autres. Elle a également accueilli au mois d'avril 2010 un Sommet sur l'entrepreneuriat, et publié au mois de juin une fiche d'information sur ses activités.

Mais au-delà de ces gestes largement symboliques, les progrès réels ont été lents (mis à part un ensemble de programmes destinées à l'Indonésie). Bien qu'il soit encore trop tôt pour en juger, il y a peu de preuves concrètes sur un renforcement de la coopération qui bénéficierait de ressources suffisantes.

La série d'initiatives de diplomatie scientifique proposées ont des objectifs doubles, porteurs d'aspects aussi bien scientifiques que diplomatiques, parmi lesquelles la contribution au développement socioéconomique et l'amélioration de l'image des Etats-Unis dans le monde musulman.  Le succès dépendra de la pertinence des projets et de l'équilibre entre ces deux aspects.

Trouver le bon équilibre

Dans ce contexte, quelles devraient être les actions à mener par les architectes de cette initiative pour en garantir le succès? Tout d'abord, les Etats-Unis doivent s'appuyer sur des collaborations scientifiques bilatérales efficaces.

Le programme de recherche dans le cadre de l'Accord scientifique et technologique bilatéral entre le Pakistan et les Etats-Unis est un bon exemple de réussite. On peut également citer la très utile coopération entre les académies nationales des sciences des Etats-Unis et d'Iran. Ces activités ont permis la tenue d'ateliers sur des questions telles que les risques liés aux séismes, l'utilisation efficace de l'eau et l'éthique de la science.

Deuxièmement, en dépit du caractère essentiel de la coopération bilatérale, l'initiative scientifique d'Obama doit aller plus loin et créer des structures multilatérales flexibles comme le Centre international Abdus Salam de Physique théorique de Trieste en Italie, ou des partenariats de recherche comme le CERN (Organisation européenne pour la Recherche nucléaire) et le SESAME (Le Rayonnement Synchrotron pour les Science expérimentales et appliquées au Moyen-Orient — en cours de construction). 

Si elles sont ouvertes à tous les pays, ces initiatives favoriseront l'inclusion et auront une portée plus large. Il existe un risque que les centres d'excellence proposés deviennent restrictifs et exclusifs, et ouverts seulement à ceux qui ont déjà de bonnes relations avec les Etats-Unis ou disposent de ressources financières à y investir.

Les pays musulmans peuvent ne pas se considérer comme des partenaires naturels. Toutefois, les Etats-Unis peuvent créer une dynamique pour les rassembler et soutenir ce type de projet.

Priorité à la science plutôt qu'à la politique

Troisièmement, cette initiative scientifique doit se concentrer sur des problèmes socio-économiques essentiels et urgents qui touchent les populations du monde islamique. Par exemple, elle doit mobiliser des financements pour la recherche sur des questions pérennes comme la mortalité maternelle et infantile, l'eau potable, les énergies propres, et les maladies. Le projet d'un centre de la biodiversité en Indonésie est un pas dans la bonne direction.

Quatrièmement, la création d'emplois à travers l'application des compétences entrepreneuriales et la commercialisation des résultats de la recherche scientifique est un domaine dans lequel l'Amérique excelle, et les pays musulmans gagneraient beaucoup à faire de même.

En outre, les Etats-Unis sont dans une position unique pour inciter la diaspora du monde musulman à s'engager de manière constructive dans une coopération avec les communautés locales.

Enfin, les initiatives de diplomatie scientifique doivent s'appliquer là où elles seront crédibles aux yeux du monde musulman (c'est-à-dire pas trop étroitement associées à l'agenda politique des Etats-Unis), et mises en œuvre à travers des mécanismes le plus proches possible du marché, mais également à travers des organisations bénéficiant d'une grande crédibilité scientifique.

De plus, le Congrès doit soutenir l'initiative scientifique d'Obama en lui accordant suffisamment de fonds. Et ce financement ne doit pas être lié, même si cela nécessite un certain niveau de cofinancement.

Enfin, les avantages scientifiques et pratiques d'un engagement, qui devront faire l'objet d'une importante campagne de publicité, devront être tenus si l'on veut qu'ils produisent une « prime diplomatique ».

Obama peut-il tenir ses promesses?

Comme le relève John Boright, le Directeur des programmes internationaux auprès des académies nationales des Etats-Unis, les programmes de diplomatie scientifiques réussis « doivent être scientifiques plutôt que politiques ». La science doit être au centre de la diplomatie scientifique, et non l'inverse.

Toutefois, la science et la diplomatie ne cohabitent pas toujours aisément. Les initiatives de collaboration scientifique, si elles ne sont pas expressément élaborées pour influencer l'opinion publique, peuvent se contenter d'impliquer  peu de parties prenantes et avoir malgré tout un impact perceptible sur les opinions publiques.

Ainsi, au regard de sa faible côte de popularité aux Etats-Unis, Obama peut-il tenir ses promesses? Cathleen Campbell, directrice exécutive du CRDF (la Civilian Research and Development Foundation) à Washington DC, pense qu'au Congrès les deux partis soutiennent les « initiatives de promotion de la croissance économique, produisent des avantages collatéraux pour la sécurité et renforcent les relations ».

D'autres sont moins optimistes en raison de la victoire attendue des Républicains aux élections de la mi-mandat au mois de novembre.

Si le soutien financier et politique à l'engagement pris par Obama venait à s'estomper, il serait difficile pour Washington de réaliser ce grand rêve scientifique moderne en l'absence d'un budget adéquat. Les Etats-Unis risquent d'essuyer de sévères critiques s'ils invitent leurs chaleureux hôtes musulmans à une fête, et leur demandent ensuite de payer la note.

 

Athar Osama, basé à Londres, est chercheur spécialisé dans les politiques scientifiques et d'innovation, consultant et fondateur de Muslim-Science.com. En outre, il est chercheur au Pardee Centre for Study of Longer Range Future, à l'Université de Boston.