23/06/14

La part de la technologie dans l’histoire des enfants soldats au Rwanda

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Crédit image: Tim Dirven/Panos

Lecture rapide

  • L’une des raisons de l'augmentation du nombre des enfants soldats est la disponibilité des armes légères
  • Mais un monde plus interconnecté offre de nouvelles possibilités d’influer sur l'action des gouvernements
  • Internet signifie que les jeunes sont idéalement placés pour mettre fin aux abus de pouvoir

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Des réflexions autour d’un compte rendu de première main sur les enfants utilisés dans la guerre montrent comment l'humanité et la technologie s’influencent mutuellement.

Des réflexions sur un compte rendu de première main sur les enfants utilisés dans la guerre montrent comment l'humanité et la technologie s’influencent mutuellement. 

Le mois dernier, pendant que je séjournais en Afrique de l'Est pour des interviews sur l'enseignement supérieur – ne ratez pas notre Pleins feux sur le sujet plus tard dans le mois – j’ai déniché un livre dans la poignée de titres en anglais disponibles dans l’hôtel.

C'était un compte-rendu personnel sur les enfants soldats rédigé par le sénateur, humanitaire, auteur et général à la retraite canadien, Roméo Dallaire.

Son expérience de première main sur les enfants soldats au Rwanda pendant qu’il faisait partie d'une force de maintien de la paix en 1994 l’a laissé "cassé … désabusé, suicidaire", comme le dit une citation dans la quatrième de couverture du livre.

L’ouvrage, Ils se battent comme des soldats, ils meurent comme des enfants, publié en 2010, fait le point sur les événements après le rétablissement progressif de Dallaire. [1]

Lorsque j'ai commencé à le lire, j'ai pensé au 20ème anniversaire du génocide rwandais commémoré en avril et au remarquable redressement du pays depuis ce traumatisme, un processus dans lequel l'aide étrangère et la politique du gouvernement ont chacune joué un rôle. [2]

Un exemple des initiatives rwandaises réussies, le projet Girinka, est décrit par Chika Ezeanya comme un modèle pour les autres pays africains.

Du compte rendu de Dallaire se dégagent de l'angoisse, de la colère et, finalement, une volonté passionnée de faire campagne pour l'interdiction de l’enrôlement d’enfants comme soldats.

Mais il va au-delà de l'émotion et de l'expérience pour rassembler des preuves sur l'utilisation des enfants dans les conflits, éléments recueillis au cours de ces dernières années et à travers plusieurs pays, en partie grâce à son organisation Child soldiers initiative (Initiative enfants soldats), et pour proposer de nouvelles façons de réfléchir sur le problème – qui font entrer en jeu la technologie.

Avant même que je ne ferme le livre, il était devenu clair pour moi que la technologie faisait partie du compte rendu de Dallaire sur la façon dont les enfants soldats sont apparus initialement, mais que – comme dans le  cas  des mines terrestres — cette même technologie faisait également partie de la solution.

Et dans les deux cas, elle n'existe pas dans le vide: le rôle de la technologie peut être mieux compris si on le voit à côté des réalités sociales qui influent sur son utilisation, et de son impact.
 

La vulnérabilité post-coloniale

Dans un chapitre sur "Comment on fait des enfants soldats", Dallaire met l’accent sur la région des Grands Lacs en Afrique comme un exemple de la manière dont des années d'exploitation par l’Occident et les échecs politiques dans l'ère post-coloniale ont laissé des pays déchirés par des conflits ethniques et des sociétés perturbées.

Pour le Rwanda, cela s’est traduit par la redéfinition des Hutus et des Tutsis comme étant des groupes ethniques — avec les connotations de supériorité qui ont conduit à un conflit – alors qu’ils étaient auparavant connus par leur activité professionnelle (la production de cultures et l'élevage de bétail, respectivement).

Lorsque les Etats échouent et que la pauvreté s'installe, les jeunes sont privés de leurs droits – et sans de réelles perspectives dans la vie, ils deviennent vulnérables à l'enrôlement dans des groupes armés, souvent mais pas toujours de force.

“Cette histoire d’enrôlement d’enfants comme soldats est un exemple de la façon dont la technologie peut à la fois contribuer à la dévastation et offrir des outils pour atténuer cette dévastation.”

Anita Makri

Il y avait également des raisons pratiques pour lesquelles ce phénomène de l'enfant soldat a été créé et s'est installé, selon Dallaire.

La disponibilité croissante des enfants dans les pays en développement aux taux de fécondité élevés en est une; l'autre est la facilité avec laquelle ils peuvent être endoctrinés. Si on ajoute la technologie létale à ce mélange, on dispose là d’une recette pour un nouveau ‘système d'armement’.

Pourtant, une autre raison de l’augmentation du nombre d'enfants soldats est l'accessibilité, au cours des dernières décennies, des armes de petite taille, légères et assez faciles à utiliser par des enfants, même de moins de dix ans d'âge. L’AK-47 en est un bon exemple – sa conception simple rend son utilisation et sa réparation faciles à apprendre. Dallaire explique que des armes telles que l'AK-47 ont inondé le marché, à bas prix, en provenance de l’ex-bloc soviétique après la fin de la Guerre froide.

Regarder une arme purement comme un élément de technologie suscite de l'admiration et même un certain sentiment d'émerveillement.

Dans le même temps, ce que le compte rendu de Dallaire m’a appris, c’est que l'utilisation de cette arme est guidée par un ensemble de réalités sociales et historiques complexes et non pas seulement par ses attributs physiques et ses capacités; et que cela entraîne une responsabilité collective quant à son utilisation.

La société va au contact de la technologie

Dans une autre partie du livre, Dallaire raconte les efforts qu’il a faits pour amener les ONG humanitaires et les militaires à travailler ensemble pour lutter contre l'enrôlement des enfants – un chemin plein de frustrations, les attitudes et les philosophies ancrées alimentant le scepticisme de chaque côté.

Néanmoins, ces efforts ont abouti au lancement de son mouvement humanitaire pour éradiquer le fléau des enfants soldats.

Et, dans ce cadre, Roméo Dallaire souligne le fait que les jeunes sont particulièrement bien placés pour avancer des arguments et influencer les décisions.

Selon lui, c'est parce que ceux qui sont nés au cours de ces dernières décennies ont tendance à ne plus être limités par des notions dépassées de catégorisation des personnes différentes d'eux, comme étant “l’autre".

La technologie des communications  et la mobilité croissante signifient que nombreux sont ceux qui considèrent le monde comme une mosaïque de pays ayant une humanité commune.

Et ils ont donc une compréhension nouvelle de la responsabilité collective.

Lorsque je lis la partie portant sur les changements philosophiques et technologiques qui, de l’avis de Roméo Dallaire, mettent les jeunes dans une position qui leur permet de mettre fin aux abus de pouvoir, je ne peux pas m'empêcher de penser au Printemps arabe. Abdelkader Djeflat avance un argument similaire dans nos pages d'opinion, à savoir que: l'évolution de la pensée provoquée par des orientations vers une économie de la connaissance a semé une graine — ou façonné le contexte — pour les soulèvements rendus possibles par la technologie.

Donc, ici aussi, le social et le technologique se croisent.

Ensuite, Dallaire ajoute le rôle des médias. La télévision a été la dernière ‘révolution des communications’ avant Internet, selon lui, et en braquant les projecteurs sur les violations des droits de l'homme, elle a aidé les organisations internationales à influencer l'action des gouvernements.

C’est la moralité du correspondant  qui a gouverné le jeu de la télédiffusion au milieu du 20ème siècle, poursuit Roméo Dallaire, ainsi que les priorités des entreprises de presse souvent guidées par la recherche du profit. Mais Internet et les médias sociaux ne fonctionnent pas suivant ce modèle.

A l’heure actuelle, les citoyens peuvent décider ce qu’on doit diffuser et de quelle manière — c'est là que réside le potentiel pour le changement.

Et c’est ainsi que lorsque j'ai tourné les dernières pages, il m'est venu à l’esprit que cette histoire d’enrôlement d’enfants comme soldats est un exemple de la façon dont la technologie peut à la fois contribuer à la dévastation et offrir des outils pour l’atténuer.

Le compte rendu de Dallaire est alimenté par une série de ces épisodes vécus qui vous changent une vie, et ceux-ci montrent ces deux rôles dans une lumière intensément humaine.

Dans un sens plus large, c'est une vieille histoire: l'histoire de ce qui arrive aux produits de la science une fois qu'ils sont mis en circulation dans le monde.

Mais c'est aussi l’histoire éternelle de la façon dont l'humanité et la technologie se façonnent l’une l'autre, chacune avec sa propre forme de puissance.

Anita Makri est rédactrice d'articles d'opinion et d'articles de fond spéciaux pour SciDev.Net@anita_makri

Références

[1] They fight like soldiers, they die like children (Wikipedia, accessed 11 June 2014)
[2] Tony Blair 20 years after the genocide, Rwanda is a beacon of hope (The Guardian, 6 April 2014)