10/09/13

Réaliser le potentiel de la science citoyenne

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Crédit image: Flickr/CIMMYT

Lecture rapide

  • Une science citoyenne permet à l'investigation scientifique de puiser dans diverses formes de connaissance
  • Mais elle est moins courante dans les pays du Sud en raison des contraintes liées aux capacités et au financement
  • L’encouragement des projets de science citoyenne pourrait commencer par l’implication des ministères de l'éducation

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Puiser dans la capacité du public à aider à produire de la science amène des problèmes familiers et des possibilités de changement.

Il est difficile de trouver des arguments contre la valeur de la participation communautaire dans l’enquête scientifique.

L’implication des citoyens peut permettre de bâtir des expériences à grande échelle de manière plus efficace que ce qui pourrait autrement être possible. Par exemple, la logique et la mécanique des jeux sur ordinateur sont utilisées pour impliquer les citoyens dans la collecte de données et la résolution des problèmes – comme avec le projet en ligne EyeWire, qui affirme que 60.000 participants dans 100 pays ont contribué à la cartographie de la rétine.

Elle est également d’une manière séduisante en phase avec l'air du temps – et la prolifération des nouvelles technologies lui a accordé un regain d'attention. 

Au tout début de cette année, le Groupe de haut niveau des Nations unies sur l'agenda de développement post-2015 a appelé à une révolution des données en puisant dans les nouvelles technologies pour l'implication des citoyens; Bond, le réseau de développement du Royaume-Uni, prévoit un groupe de travail sur la technologie et SciDev.Net organise aussi une réunion sur les énormes volumes de données, en février 2014.

Permettre à davantage de personnes de fournir des données et des réflexions gratuitement réduit les coûts. Cela accroit également les retombées avantageuses à mesure que les projets deviennent des cadres d’éducation informelle.

Peut-être l'avantage le plus convaincant de tous a-t-il été saisi par feu le directeur fondateur de SciDev.Net, David Dickson. Dans un éditorial publié en 2002, il écrivait: "L'expérience et la façon dont elle se transmet de génération en génération… contient souvent des clés essentielles pour notre compréhension de l’environnement à la fois humain et naturel".

En effet, une science citoyenne peut permettre à l'enquête scientifique d’exploiter diverses formes de connaissances et de perspectives.

Dans le contexte du développement international, les perspectives sont particulièrement intéressantes. Par le biais de la participation active des individus, la science citoyenne offre une chance d’engager le dialogue avec des acteurs locaux qui soit de bon augure pour le déploiement de toutes les innovations, suggérant une appropriation et une adaptabilité locales. 

La collecte, pas l’analyse

 
Toutefois, il y a des défis pour la pratique dans le monde en développement.

Le plus évident est que les possibilités de participation sont moins nombreuses que dans les pays du Nord. Le jeu n’est pas aussi populaire dans le monde en développement, les citoyens n'ont généralement pas d'argent supplémentaire pour financer la science au niveau amateur et il y a moins de scientifiques par habitant.
 
Ce que cela signifie, c’est que les communautés sont plus susceptibles de s’impliquer dans la collecte de données que dans l'analyse. Ceci est particulièrement gênant, étant donné que les universités du Sud de la planète se sont engagées dans un effort concerté pour aller au-delà du rôle d’enquêteurs survalorisés pour leurs pairs dans les universités du Nord.

Dans ce contexte, une science citoyenne pourrait devenir un autre moyen de reproduction d’une structure de pouvoir flagrant que nous voyons dans des cadres de recherche plus formels.

Contrôle des ressources naturelles

 
La Cartographie du projet Congo fournit une utile illustration d’autres préoccupations.
 
Le projet dont l’objectif est d’aider les communautés de la région de Brazzaville à gérer les ressources naturelles et contrôler les activités d'exploitation forestière, s'appuie sur des téléphones portables dans une région où la connectivité sans fil est faible.

“L'expérience … contient souvent les clés essentielles pour notre compréhension de l'environnement à la fois humain et naturel.”

David Dickson

Son succès dépend de la réactivité des organisations de la société civile lorsque des infractions aux bonnes pratiques de foresterie sont signalées — mais leur capacité de réagir ne peut pas être considérée comme allant de soi. Elles ont leurs propres défis en matière de gouvernance.
 
Et comme le note Duncan Green d'Oxfam, les ONG ont un long chemin à faire pour développer une appréciation plus sophistiquée de ce que la science est capable d’apporter au développement. En outre, pour que le projet Congo soit réalisé à plus grande échelle, produise des résultats significatifs et ait un impact durable, davantage de financements sont, en gros, nécessaires.

Opportunité ou handicap?

 
Si l'on considère ces défis structurels et de gouvernance plutôt démodés, la science citoyenne dans le monde en développement ne peut pas être considérée comme un moyen de contourner les carences en matière de capacité scientifique – elle pourrait, en fait, les exacerber.

On pourrait considérer qu’elle va créer autant de besoins qu’elle se propose de soulager. Après tout, qui va faciliter les innovations méthodologiques et techniques nécessaires pour une participation communautaire à grande échelle?

Bien sûr, nous ne devrions pas sous-estimer le bond technologique qui a déjà donné lieu à la Silicon Savannah au Kenya, et la compétitivité régionale qu’elle semble avoir engendré. Un tel esprit d'entreprise peut conduire à des moyens innovateurs de participation citoyenne et peut aider à modeler la pratique globale.
Mais il y a une plus grosse possibilité ici pour les pays en développement — et on pourrait mieux l’apprécier en examinant l'histoire de la science citoyenne en Occident.

Des gentilshommes scientifiques

 
La science citoyenne est un nouveau terme, mais une vieille idée. Charles Darwin, Benjamin Franklin et Isaac Newton étaient tous des 'gentilshommes scientifiques': des non-professionnels typiques de la pratique scientifique avant le vingtième siècle.

Bien que jusque dans les années 1960 la science ait été caractérisée par le chercheur professionnel, jusqu’à la fin des années 1970, certains appelaient à un retour au 'bon vieux temps'. Et à cette époque-là, le philosophe Paul Feyerabend a appelé à la démocratisation de la science.

Ce n'est pas par hasard que c'est autour de cette époque que le terme science citoyenne a été inventé au Laboratoire d'ornithologie de l'Université Cornell. L'écologie, comme l'astronomie, est traditionnellement un domaine d'étude qui a assez fortement fait appel à la participation communautaire.

Au cours des quatre dernières décennies, les attentes de la science citoyenne ont augmenté en termes de nombre de personnes qui peuvent y participer ainsi que de qualité globale de la science produite comme des opportunités pour l'accroissement de sa pratique. Et la professionnalisation qui a évolué depuis lors dans ce domaine offre la possibilité de bâtir les structures qui ont été le moteur des progrès techniques du XXe siècle, mais d'une manière nouvelle.

Rendre la science accessible

 
Un tel nouveau monde comprendrait des scientifiques dans – et venant – d’ONG et des communautés autochtones, réinventant l'idée de la salle de classe et ouvrant de nouveaux espaces pour avoir des conversations avec les décideurs politiques.

L'exposition à plus de science la rendrait plus accessible et pertinente pour les communautés, et encouragerait un mouvement démocratique pour les investissements dans la science.

Les deux premières mesures positives consisteraient à impliquer les ministères de l'éducation dans des projets de science citoyenne et développer des matériels de formation compatibles avec les programmes sur une science essentielle à l’intention des communautés et des organisations de la société civile participantes.
Il s'agit d'une vision qui est fascinante et qui devrait plaire tout aussi bien aux scientifiques qu’aux professionnels du développement et à leurs bénéficiaires.
 
Nick Ishmael Perkins
Directeur, SciDev.Net
@Nick_Ishmael