08/02/13

Les communiqués de presse, un outil tentant sans vision d’ensemble

News Conference Journalism Reporters
Crédit image: Flickr/US Army Africa

Lecture rapide

  • Les communiqués de presse peuvent offrir des informations faciles d'accès, aux éditeurs et journalistes très occupés
  • Mais compter uniquement sur eux signifie que des voix sous-repésentées et des histoires complexes sont ignorées
  • Chaque fois que possible, des reportages de fond originaux doivent former le noyau du travail du journaliste

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Des sujets d'actualité scientifique plus complexes, mais d'une importance capitale, sont voués à rester méconnus si nous continuons à nous fier aux communiqués de presse.

Au moment où je m'apprête à rédiger cet éditorial, la boîte de réception de mon adresse électronique comporte plus de 100 communiqués de presse émanant de revues scientifiques, d'universités, d'organismes de recherche et d'ONG, basés en majorité dans le monde développé.

Tous ces communiqués de presse se disputent l'attention des rédacteurs en chef et sont à la recherche d'une plus large diffusion afin d'améliorer la visibilité et l'impact des organismes émetteurs.

Cette situation est une réalité pour les journalistes et les rédacteurs en chef de la presse scientifique depuis un certain temps, mais le débat sur le bien-fondé des communiqués de presse a refait surface récemment et devrait se poursuivre au cours des prochains mois.

Des ateliers sont prévus à l'occasion de la prochaine Conférence mondiale des journalistes scientifiques en 2013 qui se tiendra en Finlande pour débattre de la question.

Le Département du Royaume-Uni pour le développement international (DFID) a récemment annoncé le lancement d'un programme d'appui aux décideurs politiques et aux médias pour évaluer les résultats des travaux de recherche.

Les communiqués de presse sont pratiques parce ce qu'ils sont rédigés selon le fonctionnement des médias : si un journaliste souhaite simplement publier l'article dont le sujet est l'objet, la plupart du temps il lui suffit simplement de réadapter le communiqué.

En outre, certains de ces communiqués peuvent porter sur des sujets d'actualité encore sous embargo, donnant ainsi l'occasion aux rédacteurs en chef d'en prendre connaissances quelques heures voire quelques jours avant qu'ils ne soient à la une des journaux – ce qui offre un temps précieux pour la relecture de l'article.

Au final, les communiqués de presse facilitent la tâche. Mais ces éléments peuvent aussi provoquer leur déchéance – et sont à l'origine de frictions entre les journalistes scientifiques.
 

L'option de la facilité 


Parce que les communiqués de presse sont prêts à être publiés, les critiques estiment que de nombreux journalistes scientifiques sont devenus trop paresseux pour chercher des sujets originaux qui offrent des analyses de fond.

Ou alors ils sont trop occupés à réécrire les communiqués de presse pour pouvoir effectuer le travail d'investigation indispensable.

Ils pourraient s'intéresser aux questions relatives aux mauvais comportements, aux éléments qui ont un impact sur les politiques, à l'absence d'études sur des questions essentielles pour les communautés vulnérables, aux recherches dont les résultats ne sont pas publiés – comme le médicament prometteur qui s'avère être un fiasco ; ou les désaccords entre scientifiques.

Mais ces sujets font rarement l'objet de communiqués de presse.

Chaque jour, les rédacteurs en chef et les journalistes de la presse scientifique décident des sujets d'actualité qu'ils vont traiter ou pas dans leurs articles, ce qui leur donne une impression de choix.

En réalité, cette impression de choix est biaisée car orientée par les organismes qui décident des sujets sur lesquels portent les communiqués de presse.

Comme l'a écrit l'ancien rédacteur en chef chargé de l'actualité à SciDev.Net, Aisling Irwin, dans un article pour le compte de l'Association des écrivains et journalistes scientifiques britanniques (ABSW) : « Dans cette vie faite de communiqués de presse qu'est la nôtre… nous sommes assis dans nos cages dorées et nous nous gavons de potins que l'on nous sert à travers les barreaux alors que notre véritable devoir est de sortir pour aller à la recherche de l'information ».

« Cette information est faite de sujets originaux qu'aucun intermédiare ne nous vend ; de sujets sur lesquels personne ne veut faire de tapage, de sujets concernant les sans-voix ». [1]

Mais pour y accéder, les scientifiques du monde en développement « doivent être identifiés, localiséset interviewés, parfois contre leur gré », ajoute Irwin.

Cela implique parfois d'aller à la rencontre des scientifiques chez eux sur le terrain et participer aux conférences pour découvrir des sujets qui n'ont pas encore été déflorés.
 

'Surinformation'


Le mois dernier, Connie St Louis, présidente de l'ABSW et directrice du programme de Master en journalisme scientifique à la City University à Londres, a réactivé la polémique. [2]

Elle a dénoncé la « surinformation » due à une « avalanche de communiqués de presse », et souligné que les journalistes étaient trop occupés pour pouvoir « séparer le bon grain de l'ivraie » à un moment où les relations publiques gagnaient du terrain dans le monde de la science au détriment du journalisme scientifique indépendant qui régressait.

Une grande partie du journalisme scientifique n'est que de la relation publique déguisée en journalisme, affirme-t-elle.

Et une grande partie de cette pratique du journalisme se limite à la traduction des résultats de la recherche en un langage simpliste et sensationnaliste sans mettre en évidence les ambigüités, les tensions et la politique qui les sous-tendent.

Il faut du temps et des efforts pour mener des enquêtes sur l'actualité locale et relayer des opinions souvent sous-représentées dans le courant dominant de la science, qui émane principalement d'institutions basées en Occident

C'est ici que les médias indépendants tournés vers un journalisme scientifique critique peuvent jouer un rôle plus important.

Ils creusent au-delà de ce que les grands acteurs des entreprises et de l'establishment nous proposent et enquêtent de manière plus fouillée sur de sujets enrichis de pointsde vue locaux, émanant des pays en développement par exemple.
 

Un penchant du monde développé 


Il est vrai qu'en Occident, les grandes institutions scientifiques abreuvent les journalistes d'informations, de sujets d'articles potentiellement difficiles à dénicher, voire inexistants dans les pays en développement.

Un rapport publié par la Commission nationale britannique pour l'UNESCO l'an dernier fait état de la nécessité de créer une agence d'information scientifique dédiée à l'Afrique, chargée de rechercher et de diffuser les travaux de recherches africains importants auprès des médias locaux et internationaux. [3]

Il est facile de mettre en place un service de diffusion de communiqués de presse rattaché à l'une des bases de revues régionales, comme l' African Journals Online, dont l'objectif serait d'attirer l'attention des médias sur les activités scientifiques menées dans le monde en développement.

Mais nos efforts relatifs à la mise en lumière d'une science plus pertinente et émanant du monde en développement ne doit pas nous pousser à nous concentrer sur des sujets faciles.

Nous ne devons pas laisser les communiqués de presse se substituer au journalisme d'investigation si nous voulons changer la donne de la science telle qu'elle est actuellement pratiquée, et les journalistes scientifiques doivent éviter de fuir les sujets difficiles.

Dans leurs efforts visant à couvrir plus de sujets localement pertinents, les journalistes scientifiques du monde en développement – qui semblent prospérer en ce moment – devraient éviter de tomber dans les écueils que sont la rédaction de communiqués de presse pour leurs confrères occidentaux.

Comme l'écrit Irwin : « le fait de bénéficier d'un travail pré-mâché nous a changés.

Nous sommes devenus paresseux. Aller à la pêche aux sujets originaux nous semble être désormais une tâche trop difficile ».

Les rédacteurs en chef et les journalistes doivent cesser de ressasser les mêmes sujets et consacrer plus de temps à la recherche d'idées d'articles plus originaux, notamment celles que de nombreux groupes d'intérêt n'aiment pas voir évoquées. Au lieu d'être notre plat de résistance, le communiqué de presse doit être un en-cas occasionnel pris entre des repas plus copieux et qui eux, sont d'une importance vitale pour notre profession.

Mićo Tatalović
Rédacteur en chef chargé de l'actualité, SciDev.Net