30/12/11

La science en 2011: révolutions et catastrophes

Le Printemps arabe a ouvert la voie à des sociétés plus démocratiques, ce qui pourrait aider la science à s'épanouir Crédit image: Flickr/Takver

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La science et la technologie peuvent sembler éloignées des drames qui se déroulent dans le monde ; pourtant, elles occupaient une place de premier rang pendant les premiers mois du Printemps arabe.

Lorsque la révolution a éclaté sur la place Tahrir en Egypte en janvier 2011, les scientifiques y étaient en force, aidant à planter les graines du changement. Quand la dictature a été remplacée par une évolution vers un système de gouvernement plus démocratique qui encourage ouvertement le débat et la contestation, et qui s’engage à répondre aux besoins sociaux de la population, la science a commencé à germer en Egypte et ailleurs.

Ainsi, les annonces ont rapidement suivi en Egypte : la construction prévue de la nouvelle Cité des sciences et technologies Zewail; le lancement d’un ambitieux projet de dépenses pour la science; puis, plus tard, la création d’un réseau national de recherche. Les chercheurs en Egypte se sont également montrés prêts à s’exprimer contre ce qu’ils considéraient comme des politiques de développement inappropriés.

Par ailleurs, la Tunisie en pleine réforme a annoncé son intention de relancer la science et la technologie avec un projet de US$ 16,5 millions.

Les événements au cours de l’année prochaine, en particulier en Egypte, fourniront peut-être un cas concret du lien — ou inversement, de l’absence de lien — entre une plus grande liberté politique et un meilleur soutien accordé à la science.

Les médias sociaux

Dans le même temps, la technologie fondée sur la science a joué un rôle dans la conquête des libertés. Le rôle des médias sociaux dans l’encouragement des révoltes du Printemps arabe a été débattu de façon exhaustive, mais les médias sociaux — et leur véhicule passepartout, le téléphone portable – ont eu un impact important dans d’autres domaines encore, faisant de 2011, assurément, l’année où le phénomène a atteint une certaine maturité.

Ainsi, que ce soit dans l’accès à l’assurance pour les petits exploitants en Afrique orientale, ou dans l’aide lors des catastrophes comme les typhons aux Philippines, les médias sociaux ont su corriger les écarts de développement partout dans le monde.

La science et la technologie peuvent effectivement contribuer de plus en plus aux domaines de l’alerte et des réponses aux catastrophes — faisant de ce fait de la science un acteur clé dans les événements faisant la une des journaux dans le monde.

Le tremblement de terre et le tsunami qui ont frappé le Japon en mars, par exemple, ont mis au premier plan des idées de plus en plus ingénieuses pour ajouter de précieuses secondes aux temps d’alerte au tsunami, allant de la détection des empreintes de la luminescence dans le ciel, à l’utilisation du radar et des systèmes de positionnement global (GPS). En outre, des systèmes de détection précoce des tsunamis ont été testés à la fois aux niveaux continental et local.

Pour ce qui est de la sécheresse dans la Corne de l’Afrique, les chercheurs l’avaient vu venir, leurs systèmes d’alerte rapide ayant prévu la famine. Pourtant, ce message n’a pas poussé à l’action, illustrant ainsi les difficultés psychologiques et politiques auxquels sont confrontés chercheurs et hommes politiques lorsqu’ils travaillent sur le terrain des risques plutôt que des certitudes.

La science des catastrophes

Compte tenu de ses succès et ses échecs, il n’est pas surprenant que l’utilisation potentielle des données scientifiques en matière de prévention, ou d’alerte rapide aux catastrophes a fait débat cette année.

Un chercheur américain a ainsi tenu des propos controversés selon lesquels les inondations de 2010 au Pakistan auraient pu être prévues longtemps à l’avance, grâce aux informations déjà rassemblées en Europe — une affirmation qui a agacé les météorologues au Pakistan.

De même, des chercheurs en Thaïlande ont fait des progrès concernant un ‘super canal de dérivation‘ pour éviter les inondations, et des chercheurs philippins ont inventé une version moins onéreuse pour détecter les glissements de terrain.

Aurait-on pu prédire les inondations dévastatrices au Pakistan ? La question fait polémique

Flickr/IRIN Photos

Le sentiment croissant que la science a à un rôle clé à jouer dans toutes les phases d’une catastrophe – la prévention, l’alerte précoce, le sauvetage et la reconstruction, a été exprimé dans le Humanitarian Emergency Response Review, un rapport lancé par le Département britannique pour le développement international, au tout début de l’année.

Dans le même sens, le programme intégré de recherche sur les risques de catastrophe a organisé sa réunion inaugurale en octobre, à Pékin, et projette de faire travailler ensemble des chercheurs de plusieurs disciplines sur la prévention des catastrophes.

Le rôle des changements climatiques a souvent été évoqué lors des discussions sur les catastrophes naturelles, et notamment en Asie du Sud, région exposée aux conditions climatiques extrêmes en 2011. La question de l’adaptation aux phénomènes climatiques extrêmes et aux autres effets du réchauffement du globe ont ainsi été rarement absents des nouvelles scientifiques.

Les pays les moins développés de la région ont pris les devants, en exprimant leurs préoccupations croissantes quant à leur avenir.

Lors d’une conférence au Bangladesh les participants ont souligné le rôle clé joué par la science dans les stratégies d’adaptation ; tandis qu’à un sommet sur le climat, au Bhoutan, quatre pays d’Asie du Sud se sont engagés à élaborer une stratégie d’adaptation commune.

Un nouvel inventaire des glaciers de l’Himalaya a été publié par le Centre international pour le développement intégré des montagnes du Népal, pendant que le Pakistan, en proie aux inondations, a mis sur pied sa stratégie pour faire face aux changements climatiques, soumise à l’approbation du Cabinet, et a étendu son réseau de surveillance des glaciers dans le but de mieux comprendre l’impact des glaciers sur les risques d’inondation.

Plus à l’Est, dans la région du Pacifique, les modèles et les efforts de cartographie climatiques s’ajoutent à des informations produites localement pour essayer de comprendre les impacts des changements climatiques.
La science a, par ces différentes manières, prouvé qu’elle a beaucoup à apporter pour la solution des problèmes environnementaux.

Des obstacles à l’échelle mondiale

Toutefois, la réalisation de ce potentiel nécessite souvent de passer par un accord international. Et les évenèments de cette année ont illustré l’ampleur des complexités politiques et financières au niveau international, qui peuvent même rendre la conclusion d’un accord impossible.

La conférence des Nations unies sur le changement climatique à Durban (COP 17) en décembre, a ainsi progressé avec difficulté, malgré l’exaspération de la grande majorité des scientifiques spécialistes du climat.

Les négociations internationales lors des conférences comme à Durban sur le climat ont débouché sur des avancées – dans la douleur

Flickr/UNclimatechange

Lors du sommet Eye on Earth à Abou Dhabi, en décembre, nous avons appris qu’existent déjà d’énormes quantités de données, qui pourraient être mises au service de l’environnement, si seulement la diplomatie et les finances étaient mises à contribution d’un tel effort.

Et, même lorsque l’Assemblée générale du Conseil international pour la science (CIUS), organisée en Italie deux mois plus tôt, se mettait d’accord sur les principaux programmes sur la science et l’humanité, certaines voix s’élevaient pour demander s’il ne fallait pas plutôt consacrer davantage de temps et d’argent à une meilleure utilisation des connaissances scientifiques déjà existantes, pour convaincre le public de la nécessité d’une action urgente en faveur de la protection de l’environnement.

Ces débats s’accentueront en 2012, dans le cadre des préparatifs de la Conférence des Nations Unies sur le développement durable (Rio+20), en juin, au Brésil. Bon nombre de personnes voient là les limites de l’action collective et du partage des responsabilités lorsque des tensions politiques ou financières remontent à la surface.

Pour certains, cela signifie que la science est plus efficacement promue aux niveaux régional, national et même local, où ces tensions peuvent être prises en compte plus facilement, et les politiques adaptées aux impératifs politiques locaux.

Le prix à payer pour une telle approche, cependant, c’est que lorsque ces conditions locales ne sont pas favorables, la science peut ne pas s’épanouir.

Les nombreux débats sur l’énergie qui ont eu lieu dans les pays en développement suite à la catastrophe survenue à la centrale nucléaire de Fukushima au Japon, illustrent à quel point la politique locale a determiné la réaction de ces pays, et ce quelle que soit la réaction  — que ce soit la fermeture de centrales ou la poursuite vigoureuse de l’option nucléaire.

Des hauts et des bas en Amérique latine

L’Amérique latine a fourni un bon exemple de la fragilité du soutien accordé à la science et des degrés variables de l’influence politique que les scientifiques sont donc en mesure d’exercer au niveau national.

Le Chili et l’Uruguay, ainsi, ont augmenté leurs dépenses en matière de science et de technologie (S&T) en 2011. Le Paraguay a lancé un projet de développement d’une politique scientifique et de financement, et des scientifiques colombiens ont réussi à capter un financement plus important dans le débat portant sur l’attribution de la manne tirée des redevances minières et énergétiques.

Pourtant, au Venezuela, les modifications à la loi sur la science, votées en 2010 et mises en application en 2011, ont provoqué des manifestations pour protester contre la menace sur l’indépendance des centres de recherche et des entreprises privées, et suscité des prévisions mettant en garde contre une réduction spectaculaire des activités scientifiques et technologiques.

Au Pérou – pays qui dispose de l’un des plus petits budgets consacrés à la science et à la technologie en Amérique latine — le nouveau président, Ollanta Humala, a annoncé que la S&T serait un élément essentiel du modèle de développement qu’il proposait. Or le gouvernement péruvien, par la suite, n’a pas augmenté le budget alloué à la S&T pour 2012 au-dessus de son niveau actuel de 0,1 pour cent du budget national.

De même, au Mexique, pour la septième année consécutive, le gouvernement n’a pas respecté sa propre loi sur la science qui stipule qu’un pour cent du produit intérieur brut (PIB) devrait être investi dans la science, et ce malgré les campagnes menées par les scientifiques et les chefs d’entreprises.

Le pays vers lequel les regards sont le plus tournés en Amérique latine est, bien sûr, le Brésil, devenu un phare pour le monde en développement, et où le financement de la science a explosé au cours la dernière décennie.

Mais la courbe y est maintenant brisée : en effet, pour la première fois en presque une décennie, une baisse de huit pour cent a été annoncée en 2011 par rapport aux US$ 3,3 milliards atteints en 2010. Il est néanmoins prévu qu’en 2012, ce budget repartira à la hausse, à un nouveau montant supérieur à US$ 3,4 milliards.

Le faible poids politique de la communauté scientifique brésilienne en 2011 a été illustré par l’incapacité des scientifiques à peser sur les discussions sur un code forestier et sur l’attribution des ressources tirées des redevances issues des gisements de pétrole découverts récemment dans les fonds marins de l’Atlantique. Les deux décisions ont été reportées à l’année prochaine.

La voiture électrique ‘made in Ouganda’ devient le symbole de l’innovation croissante en Afrique

Makerere University

Les Africains prennent les choses en main

Les hommes politiques africains, en 2011, ont manifesté un intérêt croissant pour la valeur de la S&T, et en particulier l’innovation, tout en l’associant à une conviction croissante que les Africains doivent eux-mêmes piloter le progrès.

La partie la plus facile de cette philosophie consiste à refuser le financement des bailleurs de fonds — l’Ouganda l’a fait, par exemple, en rejetant l’appui de l’Initiative du Millénaire pour la science, proposé par la Banque mondiale.

Plus difficile, c’est de remplacer les fonds étrangers dont une grande partie de la science en Afrique dépend, par des sources locales de financement — quelque chose que l’Ouganda n’a pas encore fait.

Toutefois, les exemples d’Africains accomplissant progrès scientifiques et innovation eux-mêmes commencent à abonder.

En 2011, il y a eu notamment la lente et pénible reconstitution de l’Université panafricaine, la publication des Perspectives novatrices de l’innovation africaine, qui retracent la science et l’innovation dans 19 pays africains ; et des discussions au sujet d’un Espace africain d’enseignement supérieur et de recherche.

Si certaines de ces innovations vous paraissent trop abstraites alors que l’année touche à sa fin, contemplez plutôt le petit phénomène vert métallique roulant autour du parc de l’Université de Makerere, en Ouganda, le mois dernier.

La voiture électrique, construite par les scientifiques et les étudiants de l’université, apparaît aujourd’hui comme le symbole d’un phénomène plus large : l’heure de l’innovation locale en Afrique aurait-elle sonnée ?