05/06/15

Comment expliquer le reverdissement du Sahel

Landscape of Sahel
Crédit image: Flickr/CIFOR

Lecture rapide

  • Selon une récente étude, le reverdissement du Sahel s’expliquerait par l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre
  • Mais des experts africains ont une lecture différente des causes du phénomène
  • La communauté scientifique maintient néanmoins qu’à long terme, le réchauffement aura des conséquences néfastes sur l’environnement des pays affectés

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Dans une récente étude, deux chercheurs britanniques – Rowan Sutton et Buwen Dong, respectivement directeur de la Recherche en climatologie et chercheur principal au Centre National des Sciences Atmosphériques (NCAS), à l’université de Reading, en Grande-Bretagne – soutiennent que les émissions de gaz à effet de serre sont à l’origine de la recrudescence de pluies dans le Sahel.
 
Cette région a connu, dans les années 1970 et 1980, une forte sécheresse qui a causé la mort de quelque 100.000 personnes, notamment au Niger.
 
Dans un entretien avec SciDev.Net, Rowan Sutton, l’un des auteurs de l’étude, explique que les travaux de recherche ont été basés sur des simulations informatiques de l’état du climat, suivies d’une comparaison des résultats obtenus avec les données des changements enregistrés dans la région en termes de pluviométrie, au cours de ces dernières années.
 
Toutefois, précise-t-il, “cela ne veut pas dire que de nouvelles hausses des émissions de gaz à effet de serre conduiront nécessairement à de nouvelles hausses des précipitations, parce que d'autres facteurs tels que les changements dans les températures de l'océan Atlantique et de l'océan Indien (qui pourraient résulter en partie des augmentations de gaz à effet de serre) pourraient bien être plus importants à l'avenir que dans un passé récent.”
 

Facteurs complexes

 
Pour Rowan Sutton, la complexité des facteurs concourant aux changements climatiques est telle que le regain de précipitations dans le Sahel ne met pas pour autant le continent à l’abri des affres du réchauffement climatique.
 
“Les augmentations de précipitations auront probablement été bénéfiques pour certaines personnes à court terme, mais au même moment, les températures connaissent une hausse de nature à provoquer des vagues de chaleur plus fréquentes, susceptibles d’affecter les cultures”, explique le chercheur.
 
“Pour l'avenir, les éléments de preuve du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) sont très clairs en ce qui concerne les risques liés au changement climatique : pour ce qui est de l'Afrique, ils dépassent de loin les avantages”, ajoute-t-il.
 
Sur le terrain, si chercheurs et spécialistes du climat s’entendent sur le constat d’une recrudescence des pluies dans le Sahel, en revanche, ils notent des variabilités importantes.
 
“L'augmentation des cumuls pluviométriques dans la majeure partie du Sahel ces dernières années est une évidence”, déclare ainsi à SciDev.Net, Ousman Baoua, ingénieur météorologiste et prévisionniste à la direction de la météorologie, au Niger.
 
Toutefois, explique-t-il, “il est important de noter que du fait de la répartition spatiale ou de la mauvaise distribution des pluies, des déficits peuvent encore être observés par endroits. Mais de façon globale, un cumul pluviométrique excédentaire est observé dans l’ensemble du Sahel.”
 

“Année noire”

 
Ce point de vue est corroboré par Pascal Sagna, expert environnementaliste au département de géographie de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar.  

“Il y a peut-être un petit mouvement vers la reprise de la pluviométrie, mais d’une année à l’autre, il y a aussi des variabilités importantes.”

Pascal Sagna, expert environnementaliste à l'université de Dakar

  “Entre 2003 et aujourd’hui, nous avons effectivement enregistré quelques années à pluviométrie importante”, explique-t-il. “Mais en 2014, le Sénégal est retombé très bas. Il y a peut-être un petit mouvement vers la reprise de la pluviométrie, mais d’une année à l’autre, il y a aussi des variabilités importantes. Par exemple, l’année 2014 a été une année noire pour les paysans.”
 
Mais pour ce qui est des causes de la recrudescence des précipitations dans la région, plusieurs théories sont avancées.
 
“Au plan météorologique, estime Ousman Baoua, certes les phénomènes de méso-échelles comme les lignes de grain qui sont responsables à plus de 90% de la pluviométrie au Sahel tendent à disparaître, mais les systèmes convectifs localisés sont en développement et déversent des quantités de pluies importantes pouvant même provoquer des inondations. Au plan climatologique, les pratiques de reboisement ou de reforestation au Burkina Faso, dans la bande Sud du Niger, plus particulièrement dans les régions avoisinant le fleuve, renforcent la convection avec un apport important d'humidité, ce qui regénère les systèmes en dissipation en provenance du l'Ethiopie et du Sud-Soudan.”
 
Amadou Thierno Gaye, directeur du Laboratoire de Physique de l’Atmosphère et de l’Océan Siméon Fongang (LPAO-SF) de Dakar, estime pour sa part qu’en grande partie, “cette situation peut s'expliquer par des variations multidécennales des températures de surface de l'Atlantique Nord, dont l'origine pourrait être naturelle et liée à la circulation méridienne océanique (MOC – Meridional overturning circulation) ou anthropique.”
 

Risques d’inondations

 
Mais, précise-t-il, “dans tous les cas, l'explication de la longue sécheresse et de la remontée des pluies n'est pas tranchée. Le réchauffement global aboutit à un cycle hydrologique plus vigoureux et un potentiel plus important d'événements extrêmes tels que sécheresse et inondations, mais les implications régionales sont incertaines.”
 
Quoi qu’il en soit, estime Rowan Sutton, l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre dans le Sahel, si elle semble être à l’origine de la recrudescence des précipitations, ne contribuera pas pour autant à faire disparaître la sécheresse.
 
“L’idée du retour à une situation de non-sécheresse implique de revenir à un état passé, mais cela ne se produira pas, parce que le changement climatique d'origine anthropique a déjà modifié de manière irréversible certains paramètres et ce, pour plusieurs siècles, voire plusieurs millénaires. Il est possible que les volumes de précipitations continuent d'augmenter, mais il est trop tôt pour le dire de manière certaine.”