08/06/17

Le Sahel sous la menace directe de la fonte des glaciers

Greenland Melting
Crédit image: Flickr / Vadun Sidoruk

Lecture rapide

  • La fonte de la calotte glacière pourrait réduire de 10% à 60% les pluies dans le Sahel
  • Ce qui entraînerait un changement radical des pratiques agricoles et pastorales
  • Le tout ayant pour résultat un exode massif des populations vers les centres urbains

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Une étude réalisée par une équipe de chercheurs et publiée le 5 juin dernier met en garde contre les conséquences que pourrait avoir en Afrique de l’ouest et dans le Sahel une fonte rapide de la calotte glacière du Groenland.
 
Selon les résultats de ces travaux, une telle fonte avec une augmentation de la hauteur des mers comprise entre 0,5 et 3 mètres entraînerait une diminution "significative" de la pluviométrie dans cette région.
 
Une diminution pouvant aller de 10% à 60% entre 2030 et 2060, avec pour effet un changement "radical" dans les habitudes culturales et pastorales des populations. 
 

“Quand on travaille avec des agriculteurs en Afrique, on s'aperçoit que les problèmes du changement climatique sont déjà présents et que la zone est déjà vulnérable”

Dimitri Defrance
Chercheur, IRD

 
Prenant en compte la croissance démographique de la région, l’étude conclut que cette situation pourrait à son tour provoquer un exode massif des populations pouvant se chiffrer en dizaines ou en centaines de millions de gens d’ici la fin du siècle.
 
Interrogé par SciDev.Net, Dimitri Defrance, chercheur à l' Institut de recherche pour le développement (IRD)  et l’un des auteurs de l’étude, précise que ces migrations seront locales et non des flux vers des pays lointains.
 
"En ce qui concerne les migrations, dit-il, ce seront vraisemblablement des migrations vers les zones urbaines où il y aura une "meilleure" sécurité alimentaire, bien que très relative."
 
Il s’appuie pour cela sur les leçons du passé en faisant remarquer que lors des différents épisodes de sécheresse au Sahel au 20ème siècle, ce sont les villes qui ont accueilli des migrants temporaires, ou la côte ouest-africaine.
 
En effet, l’étude qui s’est appuyée sur une approche de modélisation climatique est confortée par des travaux qui, naguère, ont mis en évidence le lien qu’il y a entre la diminution des pluies de mousson dans le Sahel et le volume d'eau douce libéré dans l'océan du fait de la fonte des glaces de l’hémisphère nord.
 
Sur les motivations de cette étude, les chercheurs font observer que les études portant sur la fonte des glaciers se sont généralement limitées jusqu’ici à évaluer leur impact sur l’augmentation du niveau des mers et des océans.
 
Dès lors, "l'idée du projet était de voir les conséquences d'une fonte rapide des calottes de glace sur le climat global au 21ème siècle et les impacts sur les migrations humaines", disent-ils.
 
Mais, chemin faisant, ils se sont rapidement rendu compte de l’immensité de la tâche à l’échelle mondiale et ont donc choisi de focaliser finalement leur attention sur la zone de la mousson africaine.
 

Scénarios

 
Par conséquent, écrivent les chercheurs, "nous explorons l'impact de différents scénarios de fonte partielle des glaciers du Groenland dans la région très sensible du Sahel. Nous démontrons d'abord qu'une telle fusion provoque une diminution drastique des précipitations de la mousson en Afrique de l'Ouest".
 
"En outre, nous quantifions les pertes d’espaces agricoles en raison des changements de la mousson. Puis, nous identifions de migrations potentiellement importantes de millions de personnes dans les décennies à venir".
 
"Ainsi, la déstabilisation de la nappe de glace provoque non seulement des dommages sur les côtes, mais aussi une grande migration des populations dans la zone de la mousson".
 
Outre l’existence d’une documentation montrant un lien entre la fonte des glaciers du Groenland et la baisse des pluies dans le Sahel, les chercheurs expliquent ce choix par le fait que cette région est l’une des plus vulnérables aux changements climatiques, en particulier parce que ses populations vivent essentiellement de l’agriculture et des activités pastorales.
 
"Quand on travaille avec des agriculteurs en Afrique, on s'aperçoit que les problèmes du changement climatique sont déjà présents et que la zone est déjà vulnérable. La moindre modification du climat le rendant plus difficile pour les populations locales se ressent dès lors rapidement", indique Dimitri Defrance.
 
Aussi l’étude recommande-t-elle un train de mesures dans le cadre des changements d'habitudes culturales que vont imposer ces nouvelles conditions climatiques.
 
"Il pourrait y avoir l'utilisation de variétés plus résistantes à la sécheresse ou à la chaleur, la construction d’équipements pour mieux gérer l'eau, ce qui peut malheureusement s'avérer trop coûteux" apprend-on.
 

Agroforesterie

 
Dimitri Defrance préconise en outre des techniques de cultures comme l'intercropping (association de deux ou plusieurs plantes dans un même champ), l'agroforesterie ou le changement des dates et les méthodes de semis.
 
"Une dernière méthode serait d'améliorer les prévisions saisonnières pour maximiser les chances de faire de bonnes saisons avec des céréales adaptées", conclut-il.
 
Bien sûr, par-dessus tout, les auteurs de l'étude pensent qu'il faudrait mettre en œuvre l’accord de Paris pour limiter l’action de l’homme et contenir par ricochet l’augmentation des températures.
 
A ce titre, SciDev.Net a appris auprès de cette équipe de chercheurs l’existence d’un projet dénommé Agricora, qui étudie des méthodes d'adaptation agricole pour atténuer les effets du changement climatique au Burkina Faso, au Mali, au Ghana et au Sénégal, avec l’appui de l'IRD et le ministère français des Affaires étrangères.
 
Toutefois, rapportés à d’autres régions, les résultats de cette étude méritent d’être quelque peu relativisés. Car, les chercheurs eux-mêmes reconnaissent avoir un peu exagéré en étudiant le scénario d’une augmentation de 3 mètres du niveau des mers en 50 ans.
 
Mais, à les en croire, cela n’a pas d’impact significatif sur le résultat dans le Sahel. Car, disent-ils, les conséquences d’une hausse de 1,5 m et celles d’une hausse de 3 m sont "très similaires" dans cette région.

Références

L'intégralité de l'étude en anglais peut être consultée à l'adresse: http://www.pnas.org/content/early/2017/05/30/1619358114