30/09/08

Le programme de recherche indien sur les cyclones violents

Le Bangladesh a été frappé par la malchance l'année dernière – est-ce le tour de l'Inde? Crédit image: NASA

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Nookaraju, un agriculteur philosophe de l’Etat d’Andhra Pradesh, situé le long de la côte sud-est de l’Inde, dit: "On ne sait jamais où il frappera jusqu’à ce qu’il frappe".

Des millions d’agriculteurs installés le long de la côte est, avec ses réseaux hydrographiques, ses deltas de faible altitude et ses îles éparses, redoutent le passage d’un puissant cyclone et s’identifient profondément aux millions de personnes du Myanmar (ancienne Birmanie) qui ont perdu la vie, leurs proches et leurs biens quand le cyclone Nargis a frappé en mai.

"L’année dernière, c’est le Bangladesh qui a été frappé par le malheur [lorsque le cyclone Sidr a frappé en novembre 2007]. Mais vous savez tous que nous sommes les prochains (habitants de l’Inde). Le Bengal, Orissa, Andhra ou Tamil Nadu…qui sait?", déclare Nookaraju.

Pourtant, les météorologues indiens espèrent bientôt trouver des réponses. L’Inde est en tête des pays d’Asie du Sud en matière de recherche sur les systèmes de prévision des cyclones, ce qui permettra, avec un peu de chance, de sauver la vie d’ autochtones comme Nookaraju.

Les tempêtes de la baie du Bengale

Les cyclones – connus sous le nom d”ouragans’ dans l’Atlantique Nord et à l’est de l’Océan pacifique, et de ‘typhons’ à l’ouest de l’Océan pacifique – sont des systèmes de vents à basse pression qui se forment au-dessus des eaux tropicales et sub-tropicales.

Les vents cycloniques tournoyants balaient les eaux océaniques. Des vagues géantes et des ondes de tempête déferlent sur les terres et inondent les zones côtières situées à basse altitude.

Uma Charan Mohanty, professeur au Centre des Sciences Atmosphériques de l’ Institut Indien de Technologie de Delhi, affirme qu’on dénombre 80 à 100 évènements cycloniques chaque année à travers le monde.

Seulement trois ou quatre cyclones touchent la baie du Bengale, en Asie, chaque année, et pourtant ils peuvent causer plus de dommages que le plus rapide et le plus grand des typhons ou ouragans ailleurs dans le monde. Les caractéristiques naturelles de la baie du Bengale, peu profonde et en forme d’entonnoir, permettent à ces cyclones de provoquer rapidement des remous dans les eaux, créant des murs d’eau de 8 à 10 mètres de haut qui vont heurter la côte.

Malgré des systèmes d’alerte appropriés, les communautés pauvres de pêcheurs éprouveront des difficultés pour évacuer leurs populations

Flickr/Ron Layters

Mohanty, qui a également travaillé au Asia Pacific Centre for Disaster Preparedness, à Bangkok, en Thaïlande, jusqu’en mai 2008,

soutient qu’en règle générale, le sous-continent indien ne génère que sept pour cent des cyclones tropicaux de la planète, mais enregistre le plus grand nombre de décès dus à ces cyclones.

« En 2005, 25 ouragans ont fait dix morts dans l’Atlantique. Par comparaison, le cyclone Sidra, quant à lui, a provoqué la mort de 3500 personnes en 2007 ».

Une partie de l’explication se trouve dans la disparité des systèmes d’alerte et de mesures d’évacuation. En effet, de nombreux pays bordant la côte ouest de l’Atlantique disposent de bons systèmes d’alerte laissant suffisamment de temps aux populations locales pour se préparer ou se réfugier en lieu sûr. Les habitants des côtes asiatiques, pauvres et populeuses, doivent se débrouiller avec des systèmes d’alerte de qualité médiocre et un temps d’avertissement moindre. Des pluies et des vents puissants balaient les zones se trouvant sur la trajectoire du cyclone un jour avant son passage, perturbant ainsi les systèmes d’évacuations. Les cyclones de la baie du Bengale se forment en quatre ou cinq jours, contrairement à ceux de l’Atlantique, qui ont besoin de huit à dix jours – un délai plus court rendant moins aisées la préparation et la mise en place des mesures d’urgence.

Même avec un système d’alerte moderne, la majorité des communautés agricoles et piscicoles côtières pauvres d’Asie éprouveraient toujours des difficultés pour se mettre à l’abri. Elles disposent de peu de moyens de transport individuels et vivent dans des régions où les infrastructures routières sont en mauvais état ou n’existent pas.

« Il nous faut un système d’alerte approprié qui nous prévienne au moins 48 à 72 heures à l’avance », dit Mohanty.

Il poursuit en expliquant que l’autre problème réside dans l’existence de fausses alertes, provenant d’un système inapproprié et pouvant rendre les communautés côtières insensibles aux alertes. C’est ainsi qu’au Bangladesh, certaines communautés , échaudées par une fausse alerte au tsunami après le tremblement de 2007 en Indonésie, ont ignoré l’alerte au cyclone Sidr, lancée un mois plus tard.

Danger climatique

On s’attend à ce que les communautés pauvres deviennent plus vulnérables, les scientifiques prédisant que le réchauffement de la planète conduira à la formation de cyclones moins nombreux mais plus puissants dans les bassins océaniques à travers la planète (voir Le réchauffement climatique ‘entraîne des cyclones moins fréquents, mais plus violents’).

Les scientifiques doivent établir un lien entre les prévisions cycloniques et la topographie environnante

Flickr/bbjee

Les scientifiques de l’Institut indien de météorologie tropicale (IITM), à Pune, effectuent des recherches sur la façon dont le réchauffement de la planète est susceptible d’affecter les cyclones qui se forment au nord de l’Océan indien.

L’IITM utilise PRECIS, un modèle de climat régional à haute résolution, développé par le Hadley Centre for Climate Prediction and Research, au Royaume-Uni, pour simuler le changement climatique jusqu’en 2070-2100.

Les systèmes de simulations permettent d’étudier la manière dont le changement climatique pourrait affecter la fréquence et l’intensité des ‘perturbations cycloniques’, allant des cyclones puissants et tempêtes à des zones à basse pression qui peuvent ne pas former de tempêtes.

Les études de l’IITM indiquent que qu’il se peut qu’aucun changement significatif dans la fréquence des perturbations cycloniques parmi les différents scénarios de réchauffement testés ne soit constaté, cependant leur intensité a de fortes chances d’augmenter de dix pour cent d’ici 2100, comparativement à la situation actuelle.

Kanikicharla Krishna Kumar, qui dirige le centre de recherche sur le changement climatique à l’IITM, affirme que ce sont des résultats préliminaires, basés sur une simulation faite à partir d’un modèle de climat régional, mais qui pourraient être considérés comme l’un des futurs scénarios possible.

Amélioration des prévisions

Si les cyclones sont appelés à devenir plus dangereux, alors les prévisions devront devenir plus adéquates.

La prévision des phénomènes cycloniques est une combinaison de prévisions des systèmes océaniques et météorologiques terrestres. Elle englobe la détection et la localisation de la circulation atmosphérique à partir de laquelle des vents et des pluies nuisibles peuvent se développer, étudie la façon dont ces derniers peuvent se transformer en tempête, analyse le développement et le renforcement du noyau du cyclone, la trajectoire (route) d’un cyclone à mesure qu’il progresse vers la terre, et les ondes de tempête à mesure que le cyclone progresse à l’intérieur des terres.

Les scientifiques s’efforcent de prédire avec plus d’exactitude le début de formation des cyclones, leur localisation et leur intensité.

"Les prévisions météorologiques actuelles dans la baie du Bengale, faites sur 48h, fonctionnent sur une distance de 250 à 300 kilomètres. Cette distance est suffisante pour mettre en place un système d’évacuation. Nous devons réduire le champ de prévision à 100 kilomètres au moins ", affirme Dev Raj Sikka, ancien responsable du programme indien de recherche sur le climat de l’Inde, au Département des sciences et de la technologie, à Delhi.

L’amélioration du système de prévision requiert à la fois de bons modèles et des données de bonne qualité. L’Inde doit travailler sur ces deux aspects.

Les scientifiques s’appuient généralement sur des modèles de déplacement circulatoires atmosphériques (MDNA) pour prévoir les cyclones. Mais ces modèles sont trop approximatifs pour permettre de fournir une description réaliste d’évènements à plus petite échelle, tels que de nombreux cyclones tropicaux. Pour améliorer l’exactitude des prévisions cycloniques, les MDNA doivent être ‘réduits’ à une résolution meilleure que celle que nous possédons actuellement, à dix kilomètres. Pour y arriver, les météorologues indiens suivent à l’heure actuelle une formation au National Centre for Atmospheric Research, à Boulder, aux Etats-Unis.

Les Etats-Unis et l’Inde collaboreront pour recueillir des données à partir de l’oeil du cyclone

NASA Earth Observatory

Alors que le système de prévision de la trajectoire des cyclones s’est amélioré au cours des trois dernières décennies, il n’ y a pas eu d’amélioration notable en matière de prévision de leur intensité. Les modèles statistiques de prévision actuels peuvent prédire la tendance générale de l’intensité mais ne peuvent pas mesurer les de manière rapide les changements exacts de leur intensité.

Les scientifiques doivent également améliorer leur système de prévision de la fréquence et de l’intensité des cyclones à long terme. Ils doivent établir une relation entre leurs prévisions géographique – là où le cyclone frappera – et la topographie environnante –sol rocheux ou plat, mer profonde ou superficielle, – pour en déterminer l’impact.

Un oeil sur la tempête

L’Inde s’achemine vers une amélioration du système de surveillance des cyclones.

Elle dispose d’un réseau de bouées océaniques pour la collecte des données sur les vents de surface, la pression et la température de la mer.

Elle utilise également une constellation de satellites pour recueillir des données sur la météo et les nuages et fournir toutes les heures des informations sur l’évolution et l’intensification des systèmes cycloniques.

Cinq radars Doppler détectent le long de la côte est la formation des tempêtes sur une distance de 300 à 400 kilomètres. Les sondes radio côtières (sondes servant pour la prise de mesures atmosphériques) permettent d’obtenir des informations sur les vents toutes les six heures, et trois bateaux de recherche océanographique lâchent régulièrement des ballons munis de détecteurs.

La direction de la météorologie de l’Inde (IMD), qui est le centre spécialisé de l’Organisation météorologique mondiale pour l’Asie, compte encore améliorer et automatiser ses systèmes d’observation. Elle mettra 12 radars Doppler supplémentaires en service au cours des trois prochaines années, et portera le nombre de ses systèmes automatiques d’observation météorologique basés sur terre au cours de l’année 2008-2009 à 500 puis à 1000 d’ici 2011. Elle projette par ailleurs de mettre en place 1000 nouvelles jauges des précipitations automatisées au cours de l’année 2008-2009, puis 4000 sur une longue période, affirme Rajendra Hatwar, le second directeur général chargé de la recherche à l’IMD.

Mais, comme le relève Sikka, l’Inde ne sait pas encore collecter des données à partir de l”œil’ du cyclone, et ce sont ces données qui dictent le mouvement d’un cyclone.

L’Inde utilise les données recueillies à partir des vents soufflant en dehors du cœur du cyclone pour procéder à une estimation des paramètres au sein du cœur. « A moins que ce pays n’améliore ses données, il ne pourra réaliser des progrès considérables en matière d’exactitude des modèles de prévisions » soutient Sikka.

Pour cela, la reconnaissance par avion est nécessaire. Un hélicoptère peut pénètrer le cœur du cyclone pour y lâcher un ballon équipé de détecteurs dans le but de mesurer la vitesse du vent, la direction de la pression et l’humidité.

« Les Etats-unis sont le seul pays à faire de la reconnaissance par avion – ce qui a permis d’améliorer le système de prévision des trajectoires [des cyclones] dans la zone Atlantique dans un périmètre de 150 kilomètres au cours des 20 dernières années. En Inde , en revanche, le système de prévision des trajectoires se limite à une distance de 300 kilomètres », ajoute Sikka.

Lors d’un atelier indo-américain sur les systèmes de prévision des tempêtes tropicales, tenu à New Delhi en mars, l’Inde et les Etats-Unis se sont mis d’accord pour travailler ensemble et produire des données supplémentaires à partir de travaux relatifs à la baie du Bengale au cours de l’année 2008-2009. Dans le cadre de ce projet pilote, les Etats-Unis fourniront l’expertise et l’Inde utilisera ses propres avions pour recueillir des données à partir de l’œil du cyclone (voir L’Inde va mettre l’avion à contribution dans la prévision des cyclones).

D’ici 2011, l’IMD espère acquérir une sonde d’aéronef entièrement opérationnelle, avec l’aide des Etats-Unis.

Les scientifiques indiens s’efforcent également de réduire les erreurs de calculs des trajectoires des cyclones en développant de meilleurs modèles. A ce jour, le manque d’exactitude peut entraîner des erreurs de 140 kilomètres pour une prévision à 24 heures, 240 kilomètres pour une prévision à 48 heures et 310 kilomètres pour une prévision à 72 heures.

Toutes ces mesures devraient permettre de prévoir les dates et les lieux touchés par les cyclones. Mais le principal défi reste la capacité de traduire ces progrès en actes concrets permettant de sauver des vies. Alors nous pourrons parler de véritables progrès dans notre lutte contre les effets des cyclones.