17/06/09

Il faut une approche nuancée pour la biosécurité en Afrique australe

Des milliers de tonnes d'aide alimentaire envoyées dans la région pendant la crise alimentaire de 2002-2003 contenaient du maïs OGM Crédit image: Monsanto

Envoyer à un ami

Les coordonnées que vous indiquez sur cette page ne seront pas utilisées pour vous envoyer des emails non- sollicités et ne seront pas vendues à un tiers. Voir politique de confidentialité.

Selon Julius Mugwagwa, une approche nuancée et collaborative aiderait les pays d’Afrique australe à harmoniser leurs législations en matière de biosécurité.

Le débat entre avantages et inconvénients des biotechnologies modernes a fait rage en Afrique au cours des deux dernières décennies. En Afrique australe, ce débat a évolué fondamentalement avec la crise alimentaire de 2002-2003. Si la région a connu d’autres pénuries alimentaires auparavant, cette crise posait un problème supplémentaire, . des milliers de tonnes d’aide alimentaire envoyées dans la région contenant du maïs transgénique.

Le dilemme – soit accepter le maïs transgénique, soit mourir de faim –  a révélé jusqu’où ces pays (et la région) étaient mal préparés aux questions de biosécurité. Une situation qui a suscité de nouveaux efforts pour élaborer des régimes de régulation nationaux et internationaux.

Certains pays prirent des mesures intérimaires. Le Malawi et le Zimbabwe ont ainsi décidé de ne distribuer que du grain moulu. La Zambie a tout simplement refusé ces graines.  

Les ministres de l’agriculture des pays de la Communauté de Développement d’Afrique australe (SADC) ont recommandé la création d’un comité consultatif en vue de l’élaboration de directives sur les OGM et des questions plus larges liées aux biotechnologies au niveau régional.

La biosécurité  : plus on est nombreux…

Un système harmonisé ou collectif de régulation de la biosécurité en Afrique australe est important à plusieurs égards. En particulier, la proximité géographique et les effets de débordement inévitables de certaines biotechnologies font que les pays doivent coopérer dans les efforts de résolution des problèmes. Des politiques communes pourraient ainsi aider les institutions nationales à se préparer à l’éventualité d’une propagation des produits OGM, du fait de la porosité des frontières.

La coopération contribuerait également à réaliser des économies d’échelles suffisantes pour attirer des technologies et produits adaptés à la région, tout en créant des capacités suffisantes pour résister aux technologies indésirables (si les semences GM risquent de mettre en danger les systèmes semenciers en place, par exemple).

Mais de nombreuses difficultés se profilent à l’horizon pour ce qui est de l’harmonisation des programmes de travail. La coopération internationale est difficile dans tout domaine politique. Les nombreux acteurs changent sans cesse et le mot ‘politique’ peut avoir différentes acceptions chez différentes personnes.

Les biotechnologies, domaine connaissant une évolution rapide, représentent un cas particulièrement complexe. Même les politiques convenues peuvent très vite stagner avec l’émergence de biotechnologies plus récentes. En Afrique australe, certains acteurs politiques restent sceptiques, suggérant que le programme de travail régional en matière de biodiversité serait plutôt une tendance qui sera bientôt oubliée.

Il existe également un lien étroit entre les questions de biosécurité et la question des aliments OGM. Ces dernières ont une portée très large, avec des objectifs souvent contradictoires, qu’il s’agisse des ramifications commerciales ou environnementales, par exemple. Les géants de l’industrie, certes moins nombreux désormais, continuent de dominer le secteur des biotechnologies et jouissent de pouvoirs étendus. Cependant, les groupes de pression accentuent le risque de polarisation des débats.

Tout programme régional aurait donc à trouver l’équilibre entre ces pressions contradictoires, et réconcilier intérêts nationaux (notamment la souveraineté, les dispositions institutionnelles, les relations avec les partenaires commerciaux et groupes économiques extérieurs, et l’interprétation du droit international), et aspirations régionales.

A chaque contexte sa solution

Que les pays de la région disposent de capacités de régulation très inégales vient compliquer la situation. Ainsi, les pays disposant d’un système de régulation avancé ne veulent pas ‘céder’ face à un cadre régional, tandis que d’autres hésitent à s’engager pour des objectifs qui peuvent leur paraître irréalistes.

La région semble par ailleurs manquer de volonté politique pour la mise en oeuvre d’un programme harmonisé dans le domaine des biotechnologies. Les efforts passés, comme la création d’un Point focal régional sur la Biosécurité, financée par les Pays-Bas, et plus récemment la loi type de l’UA sur la sécurité des biotechnologies, n’ont connu qu’un succès mitigé.  Les parties prenantes hésitent donc à s’engager dans toute nouvelle initiative.

Certains décideurs politiques estiment que les pressions exercées par les objectifs internationaux de régulation et en matière de technologie telles la loi type de l’UA, poussent les Etats membres vers la solution de l’harmonisation alors qu’ils seraient mieux lotis s’ils élaboraient leurs propres politiques nationales ou sous-nationales.

Une dernière inquiétude, enfin, tient au fait que les pays pourraient perdre le contrôle des financements avec la mise sur pied d’une structure régionale de gestion des technologies. Les bailleurs de fonds pourraient choisir de soutenir les efforts régionaux plutôt que les programmes nationaux.

Une coopération par la contribution

Pour toutes ces raisons, la mise en place d’un cadre supranational de biosécurité pour la SADC, au sein duquel tous les pays auraient les mêmes obligations, serait difficile et risque de créer des tensions. 

Je suis convaincu qu’une harmonisation nuancée ou un cadre de ‘convergence’ serait plus approprié.

On pourrait ainsi regrouper dans des ‘couches’ successives les différents pays en fonction de leur niveau de développement et de leur maîtrise des biotechnologies. Les systèmes de régulation par couches imposeraient alors les obligations appropriées, inspirées par la position régionale.

Certes, des problèmes pourraient toujours survenir, si certains pays préfèrent collaborer uniquement avec des pays plus avancés par exemple. Mais cette approche apaiserait les craintes de domination, favoriserait l’appropriation des processus de régulation et rendrait plus faisable ‘la coopération par la contribution’. Les différentes couches serviraient également de points de repère pour l’évaluation des progrès accomplis par les différents pays dans l’élaboration et la mise en oeuvre des systèmes de biosécurité.

Une approche par couches pourrait également procéder en s’attaquant aux différentes questions les unes après les autres. C’est ainsi que l’Union européenne élabore des règles et des directives sur des aspects spécifiques liés aux OGM, tels que l’étiquetage, la mise sur le marché des produits ou la gestion du risque. Une approche similaire en Afrique australe permettrait d’accorder la priorité aux questions urgentes, allégeant ainsi les pressions qui pèsent sur les gouvernements dans d’autres arènes politiques.

Que l’on poursuive l’idée d’une régulation par couches ou celle d’une régulation régionale, les organisations supranationales telles que la SADC, l’Union africaine ou le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique, ont un clairement un rôle à jouer dans l’harmonisation régionale. Ils peuvent notamment encourager les pays à apprendre les uns des autres au moyen de programmes sectoriels spécifiques et en aidant chaque pays à mettre en oeuvre de nouvelles politiques.

Une approche coordonnée permettant l’échange d’expériences peut contribuer au renforcement des capacités nationales et sous-nationales aujourd’hui insuffisantes, et contribuer au développement et à la gestion des biotechnologies.

Julius T. Mugwagwa est chercheur en politique et pratique du développement au Centre Innogen de l’ESRC à l’Open University en Grande Bretagne.