28/01/11

Il est temps d’accorder la grande priorité à la recherche agricole

Les troubles en Tunisie, aggravés par la hausse des prix alimentaires, soulignent le risque encouru si la recherche agricole est négligée Crédit image: IRD, Vincent Simonneaux

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Les troubles récents liés à la hausse des prix alimentaires confirment l’une des principales conclusions d’un nouveau rapport sur les risques potentiels que l’on encourt si la recherche agricole est négligée.

Si la chute du Président tunisien la semaine dernière et les troubles sociaux en cours dans d’autres pays comme l’Algérie et le Soudan sont dus à des causes multiples, la hausse des prix alimentaires est considérée comme l’une des causes sous-jacentes.

Vu sous un seul angle, le problème de la rareté des produits alimentaires peut être présenté simplement. Nous sommes sept milliards sur Terre, dont probablement deux milliards souffrent de sous-nutrition. Deux autres milliards devraient naître d’ici 2050. La sécurité alimentaire n’est pas seulement un problème majeur, certains soutiennent à présent que c’est le principal problème auquel l’humanité est confrontée.

Les causes de la faim sont variées et désarmantes. Il s’agit de la rareté de l’eau et d’autres intrants agricoles ; de l’érosion des sols et de l’avancée de la salinité ; et de l’emprise croissante des changements climatiques.

Mais la recherche agricole – ou plutôt son absence – constitue l’un des facteurs déterminants de l’histoire de l’alimentation et de la faim. La Révolution verte est l’un des grands moments de cette recherche, par exemple : entamée dans les années 60, elle a permis à l’Inde de devenir un exportateur net de céréales, notamment grâce aux variétés de blé à haut rendement.

Beaucoup pensent que nous connaissons aujourd’hui un point bas, et que nous récoltons les fruits de deux décennies tragiques de négligence de l’agronomie. Cette tendance doit être inversée.

La faim : un problème mondial

De nombreux rapports internationaux sur la sécurité alimentaire ont été publiés au cours des deux derniers mois [1], [2], [3], [4].

Le plus récent, intitulé ‘The Future of Food and Farming: Challenges and choices for global sustainability’ (L’avenir de l’alimentation et de l’agriculture : Défis et choix pour la durabilité de l’alimentation mondiale), fut lancé cette semaine par le gouvernement britannique et préparé par son groupe de réflexion Foresight, en consultation avec les chercheurs venus de 34 pays du monde développé et du monde en développement.

Ce rapport apporte une vision élargie et unique des causes de la rareté des aliments, identifiant des facteurs différents qui ensembles forment un enchevêtrement politique, social, économique et scientifique complexe.

Certaines causes moins évidentes sont aussi citées, comme le fait démoralisant que presque le tiers des aliments cultivés est gaspillé, par exemple à travers une détérioration due au mauvais stockage.

Le rapport traduit l’ampleur du problème, et démontre que nous finirons tous par être atteints par la rareté des aliments, y compris ceux d’entre nous qui mangent à leur faim : comme le montre le cas de la Tunisie et d’autres pays, la faim entraîne des troubles sociaux et des migrations ; en outre, telle qu’elle est aujourd’hui pratiquée, l’agriculture détruit les ressources essentielles et émet trop de gaz à effet de serre.

Culpabilité par omission

Dans le domaine de la recherche, plusieurs omissions ont contribué au développement de la faim. Le rapport relève que les innovations existantes n’ont pas atteint un grand nombre de bénéficiaires potentiels. En Afrique, rien qu’avec la mise en œuvre d’innovations existantes, la productivité pourrait être multipliée par trois.

Mais une multiplication par trois, dans quelques régions seulement, ne suffit pas.

De nouvelles connaissances ont un rôle essentiel à jouer. Cependant, pour la plupart des pays, la recherche dans le domaine agricole et des pêches n’est pas une grande priorité, alors même que des études ont à présent établi une corrélation entre l’apathie de ces deux dernières décennies et le ralentissement actuel des gains de productivité.

Le rapport ne laisse pas de place à des commentaires épidermiques identifiant des boucs émissaires pour la faim, comme la non-adoption des aliments ou cultures GM, ou la politique de distribution des produits alimentaires. Il n’y a pas de cause unique contre laquelle s’insurger, et il n’existe assurément pas de solution unique.

Il est clair que toutes les solutions doivent être mises à contribution dans la mise en place d’un nouveau système alimentaire qui ‘nécessite au cours des prochaines décennies un changement plus radical que par le passé, y compris lors des Révolutions industrielle et verte’.

L’investissement dans la recherche constitue l’une des ‘grandes priorités’ identifiées dans ce rapport. La publication souligne que les modélisateurs conviennent que la science et la technologie qui restent à inventer seront ‘parmi les moteurs essentiels’ de l’offre alimentaire future : ‘ces défis nécessiteront des solutions aux limites de l’ingéniosité humaine et à l’avant-garde de la compréhension scientifique.’

Une priorité pour la recherche

Pour atteindre les niveaux requis d’investissements dans la recherche, il faudra, juge le rapport, créer plus d’incitations pour la recherche sur les biens publics qui profitent aux pays à faible revenu. De nouveaux modèles de financement de la recherche sont donc nécessaires. En outre, les bailleurs de fonds de la recherche, qu’ils soient du secteur public, privé ou associatif doivent aplanir leurs différences et mieux coordonner leurs actions.

Une question subsiste : ce rapport et ses prédécesseurs pourront-ils propulser la lutte contre la faim en tête de l’agenda politique international ? Pour Calestous Juma, professeur de développement international à l’Université Harvard et auteur d’un ouvrage récent sur la production alimentaire africaine [4], l’essentiel est de susciter chez les Chefs d’Etat la volonté de résoudre ce problème.

Or, susciter ce niveau de volonté politique sera difficile, puisque la faim fait le plus de ravages sur les personnes qui sont le moins à même d’influer sur les politiques.

Certes, dans la quête des financements, l’agriculture est en concurrence avec la santé et d’autres causes pressantes, dont certains ont de célèbres défenseurs. Mais la nécessité de financer la recherche sur l’offre alimentaire a préséance sur tous les autres besoins, parce que la production et la distribution efficace des aliments est un préalable pour la résolution des autres problèmes sociaux.

Les bailleurs de fonds doivent réexaminer leurs priorités. Les chercheurs ont un gros retard à combler. Et quelles qu’en soient les raisons politiques, les troubles en Tunisie et ailleurs soulignent le prix potentiel à payer en cas d’échec.

Aisling Irwin
Editorialiste, SciDev.Net

 

Références

[1]Foresight. The Future of Food and Farming: Challenges and choices for global sustainability [8.92MB](The Government Office for Science, 2011)

[2] Worldwatch Institute. State of the World 2011: Innovations that Nourish the Planet (Worldwatch Institute, 2011)

[3] Cirad:  Agrimonde. Scenarios and Challenges for Feeding the World in 2050 (Editions Quae, 2010)

[4]Calestous Juma: The New Harvest: Agricultural Innovation in Africa (Oxford University Press, 2010)