06/01/10

Les cultures GM peuvent-elles nourrir les pauvres ?

Le riz doré est génétiquement modifié pour être une source de vitamine A. Crédit image: Flickr/IRRI Images

Envoyer à un ami

Les coordonnées que vous indiquez sur cette page ne seront pas utilisées pour vous envoyer des emails non- sollicités et ne seront pas vendues à un tiers. Voir politique de confidentialité.

Les cultures génétiquement modifiées étaient censées porter secours au milliard de personnes sous-alimentées dans le monde. Mettront-elles un jour un terme à la faim ? Carol Campbell explore la question.

[OUDTSHOORN] Le riz doré ou ‘Golden Rice’ fit irruption dans l’imagination du grand public il y a une décennie, avec la publication d’un article de couverture dans le magazine Time, annonçant que le riz génétiquement modifié (GM) pourrait “sauver un million d’enfants chaque année”.

Ce riz tient sa couleur dorée d’un excès de bêta-carotènes, un précurseur de la vitamine A qui pourrait venir en aide au demi-million d’enfants qui deviennent aveugles chaque année suite à une carence en vitamine A, qui leur est souvent fatale.

Dix années plus tard, le riz doré n’a pas su soigner la cécité – certains affirmant même qu’il ne le fera jamais.

Le public se dresse contre les OGM

Le co-inventeur du riz doré, Ingo Potrykus, pointe du doigt la résistance à la technologie GM émanant de groupes de pression comme Greenpeace qui a suscité l’opposition du public et des gouvernements aux cultures modifiées. Des craintes ont ainsi émergé que des gènes ‘voyous’ d’OGM puissent contaminer des variétés sauvages, ou que la technologie GM ne réponde qu’aux besoins cupides des entreprises sans venir en aide aux pauvres.

Cette opposition a conduit à une réglementation “excessive”, étouffant tout effort d’adoption plus généralisée des cultures génétiquement modifiées capables de nourrir les pauvres, regrette-t-il.

D’autres préoccupations persistent – à savoir, le coût ; la lenteur de la recherche ; et même le doute qu’une approche consistant à chercher pour une “balle magique" alimentaire, sache donner une réponse à ce qui est, selon certains, un problème avant tout social, culturel et économique.

Les pays en développement se sont généralement montrés prudents vis-à-vis des cultures génétiquement modifiées

Flickr/Joe Athialy

Est-ce à dire que tous les aliments génétiquement modifiés sont condamnés à ne jamais résoudre le problème de sous-alimentation des populations pauvres ? Si la résistance du public faiblit, ces produits tiendront-ils leur promesse d’aider à nourrir les sous-alimentés de la planète (que l’Organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) estime à un milliard en 2009) ?

Rowan Sage, l’un des scientifiques travaillant sur la création du ‘riz C4 ‘ – un autre riz transgénique dont le rendement pourrait être radicalement amélioré – affirme qu’il est essentiel d’obtenir l’approbation du public si les OGM auront un jour à s’attaquer à la malnutrition. Pour lui, les obstacles sociaux sont énormes, et l’acceptabilité “capitale” pour le succès du riz C4.

"Nous devons obtenir l’adhésion [des populations pauvres qui ont faim], parce qu’ils pourraient facilement dire qu’ils n’en veulent pas, tout simplement ", explique Sage, un biologiste écologique et évolutionniste auprès de l’Université de Toronto, au Canada, qui collabore avec l’Institut international de recherche sur le riz (IRRI) des Philippines, sur ce projet.

Pour Guillaume Gruère, chercheur à l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI), la résistance du public serait la cause première de l’absence de produits alimentaires génétiquement modifiés développés publiquement et disponibles pour les pauvres.

Bon nombre d’obstacles dans les pays en développement seraient ainsi “en grande partie le résultat d’influences exercées par des pays et des organisations opposées à l’utilisation d’aliments génétiquement modifiés".

Certains partisans des OGM sont pessimistes quant à l’éventualité d’une prochaine résolution de ces problèmes. Ainsi, HarvestPlus, un programme mondial visant à créer des cultures de base plus nutritives, évite presque entièrement la technologie GM, utilisant plutôt l’amélioration génétique classique.

De nombreux observateurs estiment au contraire que cette résistance finira par faiblir.

Pour Robert Ziegler, Directeur général de l’IRRI, il est peu probable que les opposant aux OGM puissent freiner l’adoption de cette technologie à jamais.

"En général, le problème dans de nombreux pays en développement est l’absence d’un cadre réglementaire pour la manipulation [des cultures génétiquement modifiées]", a expliqué Ziegler lors d’une réunion de l’Association américaine pour l’Avancement des Sciences (AAAS), à Chicago, l’an dernier (2009).

"Des lobbies assez puissants, principalement basés en Europe, sont opposés à leur utilisation en Afrique sub-saharienne. Je pense qu’une fois déployées des cultures qui offrent un avantage direct pour les consommateurs , elles finiront par être acceptées."

Même le riz doré fait des progrès, poursuit-il. Le riz doré est ainsi en cours d’essai en champ aux Philippines, et les premiers lots pourraient être commercialement disponibles d’ici 2011-2012.

Une alimentation équilibrée

Même si l’opposition se dissipe, les cultures génétiquement modifiées pourraient ne pas réussir à résoudre le problème de la malnutrition. Ainsi, le fait de s’attaquer à une carence nutritionnelle particulière sera-t-il suffisant dans une guerre qui concerne de si nombreux éléments nutritifs ?

Pour Doug Gurian-Sherman, un scientifique chevronné du Programme Alimentation et Environnement de l’Union des Scientistfiques concernés, basée aux Etats-Unis, l’introduction des cultures génétiquement modifiées dans un environnement de monde en développement est une approche fragmentaire.

"Les carences nutritionnelles dans une communauté appauvrie seraient mieux résolues en encourageant et en aidant les gens à avoir une alimentation équilibrée comprenant des légumes, feuilles vertes et des protéines, plutôt qu’en essayant de tout emballer dans du manioc ou du riz", affirme-t-il.

Une carence nutritionnelle chez une personne s’accompagne souvent d’autres carences en éléments nutritifs, qui ne seront pas résolues par ce type d’approche fondé sur un seul élément nutritif, soutient-il. “Je ne suis pas opposé au riz doré, si ça marche et s’il s’avère qu’il est sain. Mais est-ce vraiment une bonne utilisation des ressources de développement ?"

L’utilisation des OGM pour lutter d’un même coup contre une série de carences est l’objectif du projet BioCassava Plus, qui s’efforce d’entasser presque un repas complet dans le manioc, un aliment de base pour 250 millions de personnes en Afrique sub-saharienne.

Faire du manioc un repas complet

Le manioc est un aliment de base pour 250 millions de personnes en Afrique sub-saharienne, malgré sa courte durée de conservation, sa pauvreté nutritive et les nombreuses maladies qui l’affectent.

Flickr/shanidov

Le manioc génétiquement modifié est conçu pour être plus nutritif sur plusieurs plans, avoir une durée de conservation plus longue, être résistant aux maladies et avoir des taux de cyanure plus faibles. Les premières versions de cette plante, avec une ou deux caractéristiques introduites, font actuellement l’objet d’essais en champ au Nigeria et à Porto Rico, et seront bientôt testées au Kenya.

L’initiative est placée sous la supervision de Richard Sayre du Centre de Science des Plantes Donald Danforth, aux Etats-Unis.

Sayre rejette l’argument de Gurian-Sherman. "Nous savons que notre manioc peut aider les gens. D’après les premières estimations, au premier tour de la production, 35.000 vies seront sauvées au Nigéria. L’impact à long terme se traduira en millions de vies sauvées."

De telles affirmations sont séduisantes, mais que dire du coût quand la cagnotte internationale à partir de laquelle la nutrition est financée est limitée ?

Gurian-Sherman fait valoir que les coûts sont si élevés que les efforts devraient être concentrés ailleurs. La production d’une nouvelle culture issue de la biotechnologie pourrait, dit-il, coûter jusqu’à US$ 100 millions (hors coûts de réglementation) alors que la même culture, améliorée grâce à des méthodes traditionnelles, coûterait US$ 1 million.

Dans le cas du riz C4, les frais de développement sont énormes, dit Sage. "C’est un travail extrêmement coûteux”, a-t-il noté lors de la réunion de l’AAAS. “Pour créer un programme durable, il faut investir US$ 10 millions par an".

Mais, selon lui, au vu des avantages que le projet présente, c’est là un investissement peu onéreux. En effet, le rendement du riz C4 pourrait, dit-il, augmenter de 50 pour cent – et les bénéfices d’une telle augmentation se chiffrent en milliards de dollars.

On doit donc envisager le projet C4 à long terme pour en comprendre les avantages. Cela prendra deux ou trois décennies pour se réaliser, mais pourrait aider à résoudre les défis alimentaires de 2050, explique-t-il.

D’ici 2050, ainsi, avec des cadres de biosécurité mis en place, la résistance aux OGM surmontée par le problème croissant de la faim dans le monde, et des solutions d’ensemble développées à base d’OGM sachant résoudre une série de carences avec une seule plante, les OGM pourraient-ils résoudre le problème de la malnutrition ?

Les OGM, une solution à l’état brut ?

Une objection majeure persiste, toutefois – à savoir que le problème de la nutrition est si complexe qu’il est grossier de penser qu’il peut être résolu par les OGM.

Les populations pauvres ne disposent pas d’assez de nourriture pour un nombre de raisons : les infrastructures, comme les routes en mauvais état pour acheminer leurs marchandises aux marchés ; le manque d’engrais ; le manque de formation aux méthodes culturales.

Les agriculteurs des pays en développement sont confrontés à de nombreuses pressions de production agricole

Flickr/JP-Flanigan

L’augmentation des monocultures a réduit la variété de leur alimentation. Les terres sont distribuées de façon inefficiente ou injuste, les pauvres se voyant repoussés sur des terres improductives – cela nécessite une réforme juridique qui soit ensuite appliquée. L’introduction d’un gène dans une tomate ne saura résoudre ces problèmes, soutient-on.

Pour Andrea Roberto Sonnino, directeur de recherche agricole à l’Unité de recherche et de vulgarisation de la FAO, en Italie, “les OGM peuvent contribuer à améliorer la nutrition, mais nous devons prendre en considération le fait que la nutrition est le résultat de nombreux facteurs sociaux, culturels, économiques et politiques”.

Afin d’améliorer la nutrition des pauvres, les actions ne peuvent pas se limiter à l’amélioration de la qualité nutritionnelle d’une culture particulière, poursuit-il.

Bonnie McClafferty, responsable du développement et des communications à HarvestPlus est du même avis.

“L’énormité et la complexité du problème signifient qu’il est nécessaire de mettre à disposition de [nombreuses] solutions, dont la diversification des régimes alimentaires, la fortification commerciale des aliments, l’administration de suppléments nutritionnels, et le développement de cultures riches en vitamines et en minéraux".

"Si les quantités d’éléments nutritifs désirés dans les cultures vivrières puissent être renforcées grâce à techniques classiques d’amélioration, lorsque ces nutriments ne se trouvent pas dans les souches généalogiques mères, ou ne peuvent pas être portés à la quantité nécessaire pour améliorer la nutrition, alors les aliments génétiquement modifiés peuvent être considérés comme étant une partie de la solution".

"La technologie GM pourrait bien être en mesure de dépasser les performances de la sélection végétale classique."

Ainsi, comme pour la réponse aux changements climatiques, il se peut que la solution réside dans un enchevêtrement d’interventions dont les OGM pourraient ne serait qu’une activité parmi d’autres.

A l’instar des changements climatiques, il pourrait donc s’avérer peu avisé de choisir d’ignorer une des solutions à notre disposition.

Carol Campbell est journaliste scientifique indépendante basée à Oudtshoorn en Afrique du Sud