10/05/11

L’innovation agricole, freinée par la jalousie

Les innovations agricoles devraient être présentées à tous les membres de la communauté Crédit image: Flickr/ILRI

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[NAIROBI/LONDRES] D’après l’une des rares études quantitatives menées sur ce phénomène, la crainte de la jalousie des voisins peut décourager les villageois qui se sont appauvris, d’adopter de nouvelles idées pour accroître la production alimentaire.

Les auteurs, appartenant à l’University of East Anglia, au Royaume-Uni, ont constaté que les villageois de l’Éthiopie rurale sont réticents à l’idée d’adopter de nouvelles technologies agricoles, comme la récupération de l’eau et l’utilisation d’engrais ou de semences améliorées, car ils craignent une réaction négative de la part des autres membres de la communauté.

Des recherches ont précédemment montré que la jalousie pouvait agir en faveur ou à l’encontre de l’innovation. Les chercheurs ont suggéré qu’elle avait pu jouer un rôle dans le retard pris dans l’émergence d’entrepreneurs en Chine et en Europe de l’Est, par peur de représailles contre ceux qui réussissent. Selon Daniel Zizzo, coauteur de cette nouvelle étude, d’autres expériences ont montré que les personnes investissent davantage dans le développement lorsque des groupes concurrents investissent également ; il s’agit d’un effet positif de rivalité, qui est semblable à la jalousie.

"Quelques preuves anecdotiques ont été recueillies et un important travail sociologique a été réalisé, mais les preuves quantitatives sont très faibles", a-t-il déclaré.

Pour évaluer les sentiments de jalousie, son équipe a simulé des jeux économiques avec des personnes issues de quatre villages ; elle a eu recours à des questionnaires, à des groupes de discussion ainsi qu’à des études sociologiques réalisées par l’Université d’Addis Abeba. Les résultats ont été comparés aux Ethiopian Household Rural Surveys (Enquêtes sur les foyers ruraux éthiopiens), qui contiennent des informations sur la mise en œuvre d’innovations agricoles et, par conséquent, sur les attitudes face à ces innovations.

Le niveau de jalousie chez les villageois était lié à la probabilité d’innover.

D. Zizzo a indiqué à SciDev.Net qu’ "il existe un sentiment clair et bien défini que la jalousie sociale influence négativement les innovations du monde réel".

D’après les auteurs, les innovateurs subiraient moins de ressentiments de la part des autres si des innovations moins manifestes d’un point de vue social étaient encouragées ; de même, les législateurs devraient prendre en considération le rôle des préférences sociales et avoir recours aux changements institutionnels pour les transformer en effets productifs et non destructifs.

"Il s’agit d’une étude préliminaire, d’un premier exemple d’étude quantitative de ce type", a déclaré D. Zizzo, en ajoutant qu’il a "raisonnablement confiance dans le fait que c’est un phénomène plus large qui a été saisi".

Anne Bruntse, coordinatrice régionale de l’organisation de développement économique BioVision, a indiqué que des sentiments similaires sont fréquents dans certaines zones du Kenya, mais qu’elles sont en train de disparaître dans d’autres zones.

"J’ai l’impression que, outre les nombreuses améliorations qui sont nécessaires au niveau du climat politique, le fait de donner à la population la possibilité d’un meilleur avenir contribue considérablement à l’éradication des anciennes craintes", a-t-elle déclaré.

Stephen Mugo, sélectionneur de cultures à l’International Maize and Wheat Improvement Centre (CIMMYT), a indiqué qu’il avait entendu plusieurs histoires de destruction ou de vols d’innovations agricoles au Kenya. Il a déclaré qu’il serait probablement possible de réduire ces sentiments négatifs en faisant accepter une invention par toute la communauté.

Selon Mary Abukutsa, qui enseigne l’agriculture à la Jomo Kenyatta University of Agriculture and Technology au Kenya, une petite étude éthiopienne ne peut pas être généralisée à d’autres pays en développement ; elle a ajouté qu’elle n’avait jamais connu de telles craintes en Afrique de l’Ouest et centrale.

C’est dans les situations d’inégalités extrêmes ou d’exclusion insurmontable que la jalousie se manifeste le plus négativement, a déclaré Calestous Juma, Professeur du cabinet de développement international à l’Université Harvard, aux États-Unis. Selon lui, elle est due à un sentiment d’impuissance et constitue un obstacle majeur aux améliorations socio-économiques.

"Expliquer le manque d’innovation en s’appuyant uniquement sur l’émotion comme un obstacle clé est toutefois une analyse trop rudimentaire", a-t-il ajouté.

John Thompson de l’Institute of Development Studies, au Royaume-Uni, a déclaré : "Le problème est que l’expansion agricole est traitée comme un processus strictement technocratique. Ce que cette étude, à l’instar d’autres études similaires, démontre fréquemment, est qu’il s’agit de processus socio-économiques, et que, pour obtenir une expansion et des innovations agricoles, nous devons aborder l’aspect social de ces processus".

Cette étude a été présentée le mois dernier (18 avril) lors du colloque annuel de la Royal Economic Society à Londres, au Royaume-Uni.

Lien vers l’article complet (en anglais)