03/03/17

Sénégal : Gagner le pari de la conservation

Girafe
Crédit image: Vitali Scherbyna

Lecture rapide

  • Investir dans la conservation de la vie sauvage, c’est investir dans l’homme
  • La conservation est une exigence de l’équilibre des écosystèmes
  • Pour la mener à bien, il faut impliquer aussi bien l’Etat, que le secteur privé

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La communauté internationale célèbre ce vendredi 3 mars la journée mondiale de la vie sauvage, en référence à la date de l’adoption de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES)[1].

Cette année, le thème de la journée – "Écoutons la voix des jeunes" – est un appel à agir en direction des futurs leaders et autres scientifiques, afin de leur permettre de prendre très tôt conscience des enjeux liés à la vie sauvage.

Selon l’Organisation des Nations unies (ONU), étant donné que près d'un quart de la population mondiale a entre 10 et 24 ans, des efforts vigoureux doivent être déployés pour encourager les jeunes, en tant que futurs dirigeants et décideurs, à agir au niveau local et mondial pour protéger les espèces menacées.

Mais si elle vise à peu près les mêmes objectifs partout dans le monde, la protection de la vie sauvage présente des enjeux variables suivant les contextes régionaux et nationaux.

À l’instar de plusieurs pays confrontés à des défis immédiats, le Sénégal a très vite pris la mesure des enjeux liés à la protection de la vie sauvage.
Comme l’a expliqué dans une interview à SciDev.Net, Souleye Ndiaye, directeur des parcs nationaux du Sénégal, "on ne peut pas remplacer une espèce sauvage disparue."

Une façon de souligner l’impérieuse nécessité de préserver la diversité, afin d’assurer un équilibre harmonieux des écosystèmes.

Pour Souleye Ndiaye, la biodiversité constitue un tout et au-delà des impératifs de développement durable, "une source d’inspiration".

Or la préservation et la valorisation de la vie sauvage passent principalement par la création de réserves et de parcs nationaux dotés de moyens d’action idoines.

Les premiers parcs créés au Sénégal, à l’instar du parc national du Niokolo-Koba, le plus grand parc du pays, avec une superficie de près de 1.000.000 d’hectares [2], avaient pour vocation de répondre à cet objectif.

Toutefois, leur création a donné lieu à des conflits avec les communautés à la base peu préparées, dont certaines avaient dû être expropriées, pour cause d’utilité publique.

Mais de nos jours, les enjeux semblent être mieux assimilés de tous et la création de parcs nationaux tient compte de l’importance d’associer les communautés vivant dans le voisinage des aires protégées.

Equilibre

De telles associations naît un équilibre relationnel entre les pouvoirs publics et les communautés à la base, les uns atteignant leurs objectifs de préservation et de conservation de la vie sauvage et les autres, se sentant mieux impliquées et tirant profit de la création de ces parcs.

Pour Souleye Ndiaye, cet équilibre est la condition sine qua non pour la réussite de tout projet de conservation.

Pour autant, il subsiste d’énormes défis.

Ainsi, les parcs et réserves restent-ils vulnérables à l’activité humaine, notamment le braconnage, la convoitise des terres, de même qu'un phénomène récent : l’orpaillage.

Ainsi, dans la région de Kédougou, dans le sud-est, l’orpaillage est devenu une activité rentable pour des hordes de jeunes, aux alentours du Parc National du Niokolo-Koba.

L’activité est devenue si importante qu’elle implique, dans ce pays où le mysticisme occupe une place prépondérante dans le subconscient du commun des mortels, l’intervention de marabouts et autres féticheurs, sollicités pour la localisation de sites potentiellement aurifères et rentables.

Elle s’est professionnalisée à telle enseigne que d’aucuns n’hésitent pas à recourir à des méthodes encore plus pointues que les invocations du djinn. 

"Les gens veulent aller coûte que coûte exploiter l’or du parc avec des détecteurs de métaux", explique Souleye Ndiaye.
 
"Evidemment, quand se développent les activités d’orpaillage, elles viennent avec le creusement de tranchées dans le parc, ainsi que des accidents ; de plus, les chercheurs d’or ayant besoin de viande, comme ils le disent, les animaux se retrouvent de fait pris au piège dans des enclos où les politiques de conservation sont pourtant censées assurer leur protection…"

A ces difficultés s’ajoutent les conflits et l’exploitation sauvage des ressources forestières. Autant de choses qui rendent complexe la gestion de parcs dans le contexte d’un pays à revenu intermédiaire comme le Sénégal.

De fait, l’ambition de la conservation, si elle existe, se heurte à l’insuffisance de moyens financiers et humains, ainsi que le mentionne le cinquième rapport national sur la mise en œuvre de la convention internationale sur la diversité biologique.

 

Selon ce document, "la faiblesse des moyens humains, matériels et financiers constitue une contrainte majeure pour la mise en œuvre de la CDB. La création d’un mécanisme de financement durable permettrait d’assurer une consolidation des acquis et de passer à une échelle supérieure."[3]

"On a des difficultés", reconnaît le colonel Souleye Ndiaye. "Par exemple, on a beaucoup souffert de l’ajustement structurel dans les années 1980. Le secteur de l’environnement, en général, avait du mal à mobiliser 2% du budget national."

Pour le directeur des parcs nationaux du Sénégal, la réponse à ce défi exige la mise en place de systèmes de financement innovants allant au-delà du classique partenariat public-privé.

Selon lui, il faut impliquer les communautés à la base.

"Jusqu’ici, la conservation a été perçue comme une affaire concernant exclusivement l’Etat, ce qui est une erreur d’approche. Au-delà des pouvoirs publics, il faut en fait pouvoir impliquer le secteur privé, mais aussi les communautés."

Une autre dimension, tout aussi vitale, consisterait à une plus grande implication des femmes et des jeunes, estime le responsable sénégalais.

"Aujourd’hui les parcs et réserves sont créés en collaboration avec les groupements de jeunes et de femmes et les initiatives viennent même parfois des milieux ruraux", a-t-il souligné, avant d’ajouter qu’in fine, "ce sont ces jeunes et ces femmes qui profitent le plus des parcs, car ces infrastructures créent des emplois verts et permettent une utilisation rationnelle des ressources".

Copyright Ministère de l'Environnement – Sénégal
L’Eland de Derby, une espèce menacée dans la biosphère sénégalaise.

Le Sénégal compte aujourd’hui six parcs nationaux, qui enregistrent en moyenne 50.000 visiteurs par an, ce qui constitue une source inestimable de revenus pour assurer l’autogestion et la durabilité des activités de conservation.

L’enjeu est de taille, estime encore Souleye Ndiaye : "Même l’emblème national du Sénégal, à savoir le lion – localement appelé Gaïndé – est menacé, et avec lui, plusieurs autres espèces telles que l’Eland de Derby, les hippopotames, les lycaons, sans oublier plusieurs variétés d’espèces végétales telles que l’ébénier, à cause de la surexploitation et de la sécheresse."

Il est d’autant plus urgent d’agir et de rationaliser la gestion de la conservation que, selon le colonel Ndiaye, "les parcs constituent de véritables laboratoires naturels, où sont installés des chercheurs de grandes universités, à l’instar de l’université de Gottingen en Allemagne, qui y mènent diverses de recherche."

Ces activités portent, entre autres, sur des espèces rares ou en voie de disparition, à l’instar d’une espèce unique en Afrique : l’Eland de Derby.
Souleye Ndiaye affirme que "le parc abrite la dernière représentation en milieu sauvage de moins de cent (100) individus pour une population mondiale d’une espèce", ajoutant que "le parc est la phase terminale de cinq espèces mondialement menacées."

Le parc national du Delta du Saloum quant à lui, deuxième parc du pays après celui du Niokolo-Koba et au demeurant inscrit en tant que Site Ramsar (selon la Convention relative aux zones humides d’importance internationale particulièrement comme habitat des oiseaux d’eau) en 1984 et au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2011, abrite 10% de la population mondiale de sternes royales, de leur nom scientifique Thalasseus maximus.
 
Le cinquième rapport de la direction des parcs nationaux sur la mise en œuvre de la convention internationale sur la biodiversité note qu’en dépit des efforts consentis [4], "beaucoup de choses restent à faire surtout en matière de conscientisation."
 
La journée mondiale de la vie sauvage offre l’opportunité aux décideurs politiques, de faire remonter ce processus de conscientisation en amont, en ciblant spécifiquement les jeunes générations.

Références

[1] En anglais, Convention on international trade of endangered species – CITES.
[2] 1M d’ha=10.000 km2
[3] Convention sur la Diversité Biologique
[4] Cinquième rapport de la direction des parcs nationaux sur la mise en œuvre de la convention internationale sur la biodiversité