04/12/07

Biocarburants : regardons avant de sauter

Un agriculteur cultive le manioc

Envoyer à un ami

Les coordonnées que vous indiquez sur cette page ne seront pas utilisées pour vous envoyer des emails non- sollicités et ne seront pas vendues à un tiers. Voir politique de confidentialité.

Il y a plusieurs années, faisant face à une pénurie alimentaire, le gouvernement de la Birmanie – aujourd’hui le Myanmar – donna l’ordre aux agricultures des quatre coins du pays, et ce sans tenir compte de la qualité de leurs terres, de cultiver du riz.  Cette culture s’avéra être totalement inadéquate dans plusieurs régions du pays, contribuant à enfoncer d’avantage les agriculteurs dans la pauvreté, un état dont ils ne sont pas encore sortis.

Cet exemple, bien qu’extrême, illustre les dangers que peut provoquer l’adoption d’une solution technologique rapide pour combler des besoins sociaux urgents – notamment lorsque la technologie en question n’est pas adaptée aux conditions dans lesquelles elle doit opérer.

De même pour les biocarburants.  Plusieurs bonnes raisons autorisent à encourager l’utilisation de nouvelles technologies permettant d’extraire de l’énergie à partir de tissus végétaux.

Dans des pays tels que le Brésil, la principale motivation venait du prix croissant des autres sources d’énergie et du besoin de réduire la dépendance envers les fournisseurs étrangers. Plus récemment, le recours aux biocarburants a pris de l’essor, dans la mesure où ils apportent une réponse aux inquiétudes relatives à l’impact des carburants traditionnels sur le changement climatique.

Mais d’autres raisons nous incitent à être prudents lors de l’adoption de solutions techniques face à des problèmes complexes relevant à la fois des domaines sociaux, économiques et écologiques.

Depuis quelques mois, les exhortations à investir de manière importante dans le développement des biocarburants augmentent. Cependant, dans le même temps, émergent des préoccupations croissantes : s’ils ne sont pas gérés avec soin, ces investissements pourraient – par l’augmentation du prix des denrées alimentaires ou par la limitation des terres disponibles pour la production alimentaire – finir par créer autant de problèmes qu’ils n’en résolvent.

Améliorer les connaissances, améliorer les décisions

Pour certains, les risques potentiels sont si grands qu’ils nécessitent une action immédiate.  Ainsi, le mois dernier, Jean Ziegler, le rapporteur spécial sur le droit à l’alimentation de l’ONU, a appelé à un moratoire de cinq ans sur la production de biocarburants.  Il a qualifié l’utilisation de terres agricoles fertiles pour la culture de biocarburants de "crime contre l’humanité".

Les partisans des biocarburants, telle l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) basée à Rome, ont rapidement critiqué ces remarques. Ils ont affirmé d’une part qu’un moratoire n’était pas nécessaire et d’autre part qu’il serait impossible de l’appliquer, vu les avancées notables dans le domaine des biocarburants.

Cependant, la prudence s’impose. Beaucoup de choses restent à faire en matière de choix stratégiques pour le développement des biocarburants : quelles sont les technologies de conversion les plus rentables, que faire pour que les politiques d’occupation des sols soient compatibles avec les besoins sociaux et évitent les conséquences écologiques néfastes, et ainsi de suite.

De mauvaises réponses pourraient avoir des conséquences désastreuses. Même si imposer un moratoire n’est pas la meilleure façon de procéder, encourager la recherche sur ces questions devrait être la priorité.

Par ailleurs, puisque – comme dans le cas du changement climatique – les pays en développement seront en première ligne en cas de catastrophe, il leur est indispensable d’engranger le maximum de connaissances, afin de prendre des décisions éclairées.

De la recherche à tous les niveaux

Il est nécessaire de faire de la recherche à tous les niveaux.  Un des niveaux de recherche les plus évidents consiste en l’amélioration de la productivité de cultures potentielles de biocarburants, comme la canne à sucre au Brésil, le jatropha en Asie du sud ou de nouvelles sources de biocarburants, telles que le manioc, qui est actuellement à l’étude dans plusieurs régions d’Afrique.

Des études sont nécessaires pour analyser les liens entre les travaux portant sur les aspects techniques de cultures spécifiques et les conditions dans lesquelles ces cultures seront cultivées – et ceux qui auront la chance de profiter de leur production. Ainsi, le travail que l’Institut international de Recherche sur les Cultures des Zones tropicales semi-arides (ICRISAT) mène actuellement pour démontrer que la production de jatropha bénéficiera aux petits producteurs agricoles.

Comme le signale William D. Dar, le directeur général de l’ICRISAT, la culture du jatropha à grande échelle est une proposition risquée, dans la mesure où l’on possède peu de connaissances scientifiques sur cette plante. A cet égard, ce dernier a écrit dans un article d’opinion pour le Réseau Sciences et Développement (SciDev.Net), pour notre ‘feu de projecteur’ sur les biocarburants lancé cette semaine (6 décembre) : "Ceci pourrait être une occasion majeure de réaliser et d’investir dans un nouveau programme de recherche,".

Il existe également un besoin urgent de poursuivre les recherches pour déterminer l’impact potentiel sur l’environnement d’une production de biomasse à grande échelle. Cela concerne plus particulièrement les pays de l’Afrique, où le risque de pressions commerciales poussant les agriculteurs à se lancer dans la production de biocarburants est élevé – sachant que le marché potentiellement lucratif des pays industrialisés leur fait la cour – et pourrait les mener à sauter des étapes et à négliger les exigences environnementales, à l’instar de ce qui s’est trop souvent produit par le passé.

L’exemple du Brésil

Le Brésil a déjà démontré le succès des programmes de recherche sur les biocarburants. Bien que ce pays a commencé à étudier l’utilisation de la canne à sucre dans la production de carburant tôt, dans les années 1930, c’est seulement au cours des années 1970 – lorsque la crise mondiale du pétrole a causé la flambée des prix – que le gouvernement brésilien a fait des investissements de taille dans la recherche sur l’éthanol (voir L’éthanol produit à base de canne à sucre : le succès des biocarburant brésilien).

Le résultat a été spectaculaire. Le programme d’éthanol du pays a non seulement contribué de façon significative à sa sécurité énergétique mais est aussi devenu une source importante de revenus, puisque le Brésil produit actuellement environ 30 pour cent des biocarburants vendus à l’échelle mondiale.

De plus, plutôt que de dépendre de technologies développées sous licence à l’extérieur du pays,, le Brésil a développé son propre programme de recherche. Le Brésil se retrouve donc en position de force, puisqu’il peut imposer ses propres termes lorsqu’il négocie des contrats de fournitures avec d’autres pays, et notamment avec ceux du monde en développement.

Il ne fait dès lors pas de doutes que, pour une multitude des raisons, les investissements dans la recherche sur les biocarburants devraient être placés en tête des priorités en matière de recherche dans l’ensemble du monde en développement.

De tels efforts de recherche n’apporteront pas nécessairement de réponses immédiates aux défis auxquels ces pays doivent faire face afin d’assurer leur approvisionnement en énergie – des défis qui ne font qu’augmenter. En revanche, ces efforts fourniront les connaissances qui leur permettront de répondre ces défis grâce à des données probantes, et ainsi d’agir avec confiance.

David Dickson
Directeur du Réseau Sciences et Développement (SciDev.Net)