05/12/07

Biocarburant : un nouveau pétrole pour l’Afrique?

Le biodiesel peut être produit à base d'oléagineux comme le colza Crédit image: Flickr/neil's Photo Album

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Il est dix heures et Kamiri, chauffeur d’autobus kenyan, est déjà fatigué. Durant toute la matinée, il a dû expliquer plusieurs fois à ses passagers les raisons qui l’on conduit à augmenter ses tarifs. En l’espace d’une semaine seulement, le prix du pétrole brut est passé du simple au double – et les passagers en défrayent le coût.

Ce scénario est de plus en plus commun dans une Afrique confrontée à la crise énergétique. La trop forte dépendance sur les combustibles fossiles a pendant longtemps dégarni les budgets nationaux. Les prix du carburant augmentent jour après jour et, vu le peu d’influence qu’ils ont sur les prix fixés sur les marchés mondiaux, les gouvernements cherchent des alternatives pour répondre aux besoins énergétiques d’une population urbaine en constante augmentation.

Les gouvernements africains considèrent de plus en plus que les biocarburants seraient une option viable pour ce faire.

Les "gisements pétroliers" d’Afrique

D’après Njeri Wamukonya, un expert en énergie du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), les investissements mondiaux dans la bioénergie ont atteint US$ 21 milliards l’an dernier.

"Les gouvernements des pays développés et des pays en développement fixent des objectifs en matière de bioénergie, avec comme motifs principaux la sécurité énergétique, le changement climatique et les objectifs de développement," déclare Wamukonya. Ainsi, l’Union européenne vient d’annoncer que ses pays membres ont ciblé l’objectif de produire au moins dix pour cent de leur énergie à partir de biocarburants d’ici 2020.

Cette augmentation de la demande en biocarburants fournit un potentiel de marché important aux pays du Sud, compte tenu de la disponibilité de leurs ressources naturelles. Par exemple, le Brésil produisait 33 pour cent du bioéthanol mondial à la fin de l’année dernière.

Les pays africains sont impatients de transformer leurs vastes étendues de terres agricoles en de nouveaux "gisements pétroliers."

Le choix de cultures est varié – du maïs au colza en passant par le jatropha. Parmi les carburants liquides, on trouve le biodiesel produit à base de plantes oléagineuses et le bioéthanol produit à partir de canne à sucre, de maïs et d’autres cultures amylacées. La production mondiale de biocarburants est constituée principalement d’éthanol.

Selon Cornelis van der Waal, un spécialiste de l’industrie des biocarburants chez Frost & Sullivan – un cabinet d’études basé en Afrique du Sud spécialisé dans les conseils en politiques de développement – l’Afrique regorge d’un énorme potentiel en biocarburants en raison de ses vastes terres agricoles et de sa main-d’œuvre abondante.

Il affirme que, "en ce moment, l’Afrique est loin d’être un participant dans la course aux biocarburants comparativement au reste du monde mais elle a le potentiel pour devenir le plus important producteur d’énergies alternatives."

"La question n’est pas tant de savoir si l’Afrique est prête pour la révolution des biocarburants mais plutôt de savoir si elle peut se permettre de rater l’opportunité qu’offrent les biocarburants."

A la traîne dans la course aux biocarburants

Une rencontre ministérielle panafricaine tenue au mois de mars de cette année à Maputo, au Mozambique, a marqué un tournant. Les ministres africains chargés du développement énergétique dans leurs pays ont fait l’annonce d’une déclaration marquant leur engagement en faveur de l’intensification de la recherche sur la production des énergies renouvelables – et surtout des biocarburants. Ceci a suscité auprès des investisseurs un vif intérêt dans la production de biocarburants en Afrique.

Toutefois, les spécialistes de l’énergie pensent que les investissements sur le continent africain n’ont pas tenu compte de la nécessité de mener des recherches fondamentales. Malgré l’existence de centres de recherche agricole réputés à travers l’Afrique, peu de recherche vise l’amélioration des cultures en vue d’un meilleur rendement en éthanol et en biodiesel.

D’après van der Waal, plusieurs pays africains qui mènent des études sur les biocarburants, tels que le Kenya et le Mozambique, ne disposent pas actuellement de capacités suffisantes pour la recherche sur les biocarburants.

Il ajoute que la recherche sur les biocarburants en Afrique ne reçoit pas de financement adéquat, le plus gros provenant des gouvernements et se déroulant au sein des universités.

Selon van der Waal, les pays africains devraient suivre l’exemple du Brésil, où le gouvernement et le secteur privé mènent conjointement la recherche et soutiennent l’industrie de l’éthanol depuis plus de vingt ans. Il pense que l’un des points forts de l’Afrique réside dans sa capacité à combiner la recherche publique et la recherche privée sur les biocarburants, un avantage que le contient n’exploite pas encore.

Par ailleurs, la recherche actuelle sur les biocarburants est trop axée sur l’amélioration de l’efficacité de la production plutôt que sur la qualité des produits, précise-t-il, tout en ajoutant qu’il existe des opportunités pour plusieurs autres produits et applications des biocarburants, au-delà de l’éthanol et du biodiesel. Par exemple, les produits de chauffage domestique tels que la paraffine, le bois et le charbon pourraient être remplacés par le gel d’éthanol, fabriqué à partir d’un mélange d’éthanol, d’un agent épaississant et d’eau. Ce carburant en gel ne produit aucune fumée lorsqu’il brûle et ne pose donc pas de problèmes respiratoires associés aux produits utilisés actuellement pour le chauffage domestique.

Combler le retard

Plusieurs pays africains ont des projets de recherche en cours sur les biocarburants.

Le Nigeria, premier producteur mondial de manioc, se dit enthousiaste à l’idée d’utiliser sa principale culture comme alternative aux combustibles fossiles. Ce pays a déjà mandaté une norme de mélange de dix pour cent d’éthanol de manioc dans l’essence, bien que celle-ci ne soit pas obligatoire.

Le Nigeria vise une production annuelle d’éthanol de manioc d’une valeur supérieure à US$ 150 millions, une fois le pays doté d’infrastructures adéquates, notamment la construction de 15 usines d’éthanol avec l’aide du Brésil.

Et au mois de mai, le gouvernement a annoncé qu’il prévoit la création d’une "cité du biocarburant" près de la capitale, Lagos. Ceci impliquera l’aménagement d’un territoire de 600 hectares pour loger 1 000 spécialistes en bioénergie – principalement des Nigérians mais aussi des ressortissants d’autres pays africains et du Brésil – qui mettront au point de nouvelles technologies pour améliorer la production des bioénergies.

Le Nigeria compte également importer du Brésil des véhicules à éthanol d’ici 2010.

Le Malawi partage l’ambition du Nigeria. Au mois d’octobre, la Compagnie d’Ethanol du Malawi, une entreprise énergétique privée, a annoncé qu’elle importera des véhicules polycarburants du Brésil. Ces voitures seront utilisées dans le cadre d’une initiative soutenue par le gouvernement qui évalue la possibilité d’utiliser des carburants à base d’éthanol pour les véhicules (voir Malawi endorses ethanol-fuelled cars).

A l’heure actuelle, le Malawi utilise un mélange d’essence et dix pour cent d’éthanol produit localement à partir de la canne à sucre. Grâce à un partenariat public-privé, le ministère malawite de la science et de la technologie poursuit un projet de recherche visant à évaluer comment les biocarburants locaux pourraient d’alléger les besoins énergétiques du pays. Jusqu’à présent, le point culminant de la recherche est l’essai sur une distance de 1 000 kilomètres d’une Mitsubishi Pajero modifiée pour fonctionner à l’éthanol au lieu de l’essence.

L’influence brésilienne est également perceptible au Mozambique, pays qui partagent un passé commun en tant qu’anciennes colonies portugaises. Le Mozambique a développé une industrie du biocarburant efficace autour du sorgho et de la canne à sucre, et le gouvernement a prévu plus de US$ 700 millions pour la recherche, la production et la promotion des biocarburants.

Les experts en énergie pensent que le Mozambique a le potentiel de devenir une "superpuissance du biocarburant". D’après van der Waal, ce pays reçoit des précipitations suffisantes pour soutenir la culture intensive de la canne à sucre.  A ce jour, cette culture est la plus efficace pour la production d’éthanol en termes de coûts, sa transformation étant plus rapide et sa production de sucre (grâce à sa teneur en eau) plus importante que le maïs ou le sorgho.

Les chercheurs de l’Institut international de Recherche sur les Cultures des Zones tropicales semi-arides (ICRISAT) travaillent au développement de variétés et d’hybrides du sorgho au Mozambique dont les tiges contiennent une sève à plus forte teneur en sucre.

L’ICRISAT collabore également avec un organisme privé du Mozambique, Rusni Distilleries Ltd, pour la construction d’une usine capable de produire 100 000 litres d’éthanol à base de sorgho chaque année. Cette initiative a bénéficié d’un investissement total d’environ US$ 30 millions, financé conjointement par Rusni, ICRISAT et le gouvernement mozambicain. Si elle est couronnée de succès, cette initiative pourrait accroître les revenus de 5 000 petits agriculteurs par l’entremise d’agriculture contractuelle. L’ICRISAT et Rusni envisagent une collaboration avec Petromoc, la société pétrolière nationale du Mozambique, pour la commercialisation de ce carburant.

Evaluer le risque

Toutefois, l’attention accrue portée sur la recherche et le développement des biocarburants soulève un nouveau débat sur le continent. On redoute que l’utilisation accrue des cultures vivrières comme le maïs, le manioc et le sorgho n’entraîne une hausse du prix de la plupart des aliments de base en Afrique, surtout le maïs.

"Cette hausse des prix aura lieu si la production des oléagineux se fait sur des terres agricoles susceptibles d’être affectées aux cultures vivrières, et si l’eau est déviée des champs de cultures vivrières pour irriguer les champs destinées à la production de biocarburants," prévient Jeremy Wakeford, économiste et maître de conférences à l’Université du Cap en Afrique du Sud.

Le débat entre cultures alimentaires ou cultures destinées aux biocarburants demeure l’un des problèmes majeurs qui restent à résoudre dans ce secteur – et dont l’Afrique pourrait pâtir même s’il n’entre pas sur le marché des biocarburants.

Selon Njeri Wamukonya, le fait d’augmenter le développement des biocarburants aura probablement des répercussions sur l’aide alimentaire. Par exemple, les Etats-Unis puisent l’aide alimentaire dans leur excédent de production agricole. "[Mais] si cet excédent est consacré à la production [américaine] de biocarburants, les Etats-Unis vont-ils remplacer [l’aide alimentaire] par une aide financière et les prix des aliments augmenteront-ils en conséquence?"

Pour sa part, Wakeford affirme que la priorité devrait être accordée à la production alimentaire pour nourrir la population et suggère que de nouveaux avancements issus de programmes de recherche assureront la viabilité du secteur des biocarburants.

Il faut diversifier les sources et les méthodes utilisées dans la production des biocarburants, d’après Mpoko Bokanga, directeur général de la Fondation africaine pour les technologies agricoles, qui promeut le transfert de technologies en Afrique.

S’adressant à une conférence africaine sur les biocarburants au mois d’août, à Addis-Abeba en Ethiopie, Bokanga a déclaré que l’une des solutions possibles consisterait à passer de la production de l’éthanol à celle du butanol.

Le carburant à base de butanol peut être fabriqué à partir de maïs et de mélasse, a une forte teneur en énergie et peut être transporté à travers les oléoducs existants. Il est également plus sûr que l’éthanol et l’essence, étant donné qu’il s’évapore moins facilement dans l’air ambiant, réduisant le risque d’incendie. Toutefois, il y a eu peu ou pas d’effort de promotion du butanol en raison de son rendement de production historiquement plus faible par rapport à l’éthanol.

Bokanga a également appelé à la mise sur pied "d’unités scientifiques de bioénergie" dans les pays africains qui mènent des recherches sur les biocarburants. Ces unités seraient dotés d’experts qui pourront conseiller les gouvernements sur les stratégies pour doper l’efficacité de la production.

Le triple défi auquel l’Afrique est confrontée consiste à assurer la sécurité alimentaire, la sécurité énergétique et le développement durable. Les biocarburants offrent l’opportunité d’exploiter les vastes ressources de biomasse africaines, mais passe obligatoirement par une intensification de la recherche pour améliorer le rendement des cultures, les méthodes de production et les usages. Le parcours ne fait que commencer.