11/04/14

Q&R: La présence chinoise dans le secteur agricole africain

Jean-Jacques Gabas
Crédit image: Vimeo/IRAM

Lecture rapide

  • Selon l'auteur, la méfiance à l'égard des investissements chinois en Afrique trouve sa source dans les idées reçues
  • L'Afrique importe de Chine davantages de produits agricoles qu'elle n'en exporte
  • L'aide chinoise à l'Afrique sub-saharienne est appelée à augmenter

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La méfiance à l'égard de la présence chinoise dans le secteur agricole africain concerne notamment "les accaparements massifs de terres, pour nourrir la Chine", l'inertie du modèle de coopération, une orchestration centralisée par le gouvernement, etc. Dans une interview à SciDev.Net, l'auteur se montre au contraire optimiste et invite les gouvernements africains à profiter de l'expérience chinoise en matière agricole.

Votre analyse laisse entendre que la Chine n’a aucune arrière-pensée en soutenant le secteur agricole africain. Est-ce raisonnable de penser qu’une puissance de cette dimension puisse investir des milliards de dollars sans contrepartie ?

Comme tout Etat, la Chine défend ses propres intérêts et n'a pas de comportement altruiste à l'égard de l'Afrique. Elle joue maintenant dans "la cour des grands", du fait de sa puissance financière, de son discours dont la légitimité est celle construite sur une coopération sud-sud qui ne s'inscrit pas dans un passé colonial.

La contrepartie de ses investissements est celle de sa reconnaissance sur la scène internationale, de son jeu en conséquence au niveau des Nations unies avec le blocage de Taïwan, mais aussi du Japon, qui souhaite intégrer le conseil permanent de sécurité, ce que refusera toujours la Chine.

D'autre part, ses intérêts sont économiques : la croissance chinoise nécessite beaucoup de matières premières minières et pétrolières qu'elle trouve en Afrique. Le secteur agricole et, en conséquence, la sécurité alimentaire en Afrique est effectivement un objectif affiché par la Chine. 

Vous écrivez dans votre article que les arrière-pensées prêtées aux Chinois en ce qui concerne leur présence en Afrique se nourrissent en partie du fait que Pékin ne rend pas public le montant de son aide à l’Afrique en matière agricole. Quelles raisons poussent les Chinois à ne pas rendre publics ces chiffres ?

 
Pour résumer, il y a une culture du secret. Les informations ne sont pas facilement mises à la disposition des acteurs, qu'ils soient chinois ou étrangers. Même les collègues à l'université de Pékin ou à Tsinghua ont beaucoup de difficultés à obtenir des informations sur les flux d'aide leurs destinations, les conditions financières etc. Il faut garder à l'esprit que c'est un Etat très centralisé qui reste sur des pratiques de non diffusion des informations : qui a l'information a le pouvoir.

Quels sont les critères utilisés par le gouvernement chinois pour choisir ses partenaires dans le cadre de la coopération agricole et sur quoi se fondent ces critères ?

 
Il est difficile de trouver des critères de sélectivité des projets et des pays de destination des financements. Le premier critère est la non-reconnaissance de Taïwan et cela vaut pour tous les secteurs. Ensuite, les choix restent encore assez obscurs : c'est une conjonction d'opportunités, de réseaux, d'hommes dans les ambassades, etc. Un peu comme les choix des pays faits par les autres coopérations entre pays du CAD/OCDE et l'Afrique. Les critères semblent a priori bien pensés et rationnels, mais dans la réalité c'est plutôt un choix multicritère pas toujours très rationnel, ni nécessairement fondé sur les besoins du pays bénéficiaire…

A long terme, si l’on se base sur le modèle actuel de coopération entre la Chine et l’Afrique, peut-on envisager une évolution majeure susceptible de mettre en danger le secteur agricole africain ?

Non, absolument pas. Les interventions des acteurs chinois dans le secteur agricole ne risquent pas de bloquer le développement agricole du continent. Les acquisitions foncières ne sont pas aussi importantes qu'on le dit, les projets agricoles servent en priorité les besoins alimentaires dans les pays ou les régions (riz, maraîchage, sucre, etc.) et n'ont pas comme objet d'être exportés pour satisfaire les besoins alimentaires de la Chine.

Il y a au sein de l'administration chinoise une volonté de mettre en place des filières de transformation des produits agricoles, afin de créer des revenus localement : il en est ainsi du sucre, du coton, du cuir etc. Par contre, il est vrai que les enjeux fondamentaux auxquels les économies sub-sahariennes sont confrontées, à savoir les enjeux démo-économiques, ne semblent pas réellement pris en compte par les autorités chinoises.

Toutefois, dans le cas des coopérations des pays du CAD/OCDE, si le diagnostic semble effectivement faire l'objet d'un consensus entre les bailleurs de fonds, leurs interventions dans le secteur agricole est marquée par une timidité dans leurs volumes financiers mis à la disposition des pays et des projets qui souvent manquent de contenu précis pour répondre à ces enjeux majeurs que sont l'emploi et la pauvreté rurale.

Que peut apporter l’Afrique à l’expérience chinoise en matière agricole ?

Nous sommes à un moment de l'histoire où les regards croisés sont nécessaires, voire indispensables. L'expérience de développement de la Chine peut contribuer à alimenter un modèle de coopération en Afrique, mais ce modèle doit aussi se nourrir des leçons passées et accumulées par les autres bailleurs de fonds ainsi que les leçons accumulées par les décideurs africains qu'ils soient dans les administrations centrales ou les ONG, ou entreprises.

Tout comme la Chine n'a pas LA solution à son modèle de développement agricole en Chine du fait de niveaux de vie encore très faibles dans les campagnes et de politiques qui ont encore exclu beaucoup de paysans, l'Afrique a aussi des enseignements à donner à la Chine si tant est que celle-ci accepte d'analyser les trajectoires de chacun des pays comme des histoires qui ont leurs propres logiques et contradictions.

Quels sont les critères-clés de différenciation entre le modèle chinois et les modèles africains, en matière de politique agricole ?

Il est difficile de répondre à cette question car cela dépend des moments analysés. Aujourd'hui il y a une différence : en Chine, il existe des politiques agricoles (accès aux semences sélectionnées, au crédit rural, vulgarisation agricole, etc.).

En un mot, une politique basée sur l'amélioration des conditions de l'offre agricole. En Afrique, depuis les ajustements structurels, les politiques agricoles ont subi un sérieux revers.

Si l'Etat a été fortement décrié dans sa gestion de grandes filières comme le coton, le café, le cacao dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, la libéralisation n'a pas donné tous les résultats espérés. Cette absence de politiques agricoles, cette absence de régulation et en conséquence de financements en faveur de l'agriculture, a laissé ce secteur "orphelin", alors qu'il est primordial pour le développement de l'Afrique.

A votre avis, quels sont les secteurs sur lesquels ce modèle de coopération doit s’appuyer pour que l’Afrique en tire un meilleur parti ?

Il faudrait que le modèle actuel de coopération de la Chine avec l'Afrique prenne en compte l'importance de la croissance démographique en zones rurales, du besoin fondamental d'activités génératrices d'emplois et de revenus en zones rurales.

Or actuellement, la coopération de la Chine dans le secteur agricole reste encore trop faible, comparée aux autres bailleurs de fonds bilatéraux et multilatéraux.