10/10/17

Glyphosate : L’Afrique invite à la prudence

Glyphosate article
Crédit image: Foodandmore

Lecture rapide

  • La cancérogénicité du glyphosate fait l'objet d'âpres débats auprès des scientifiques
  • En Afrique, des chercheurs recommandent le principe de précaution
  • Un expert préconise l'utilisation des bio-pesticides et une gestion intégrée des cultures

Envoyer à un ami

Les coordonnées que vous indiquez sur cette page ne seront pas utilisées pour vous envoyer des emails non- sollicités et ne seront pas vendues à un tiers. Voir politique de confidentialité.

Des chercheurs africains appellent au respect du principe de précaution, dans le débat qui agite décideurs et scientifiques sur la cancérogénicité du glyphosate, le principal composant du Roundup, l'herbicide le plus utilisé dans le monde. 

Selon une étude (1) de Statista, en 1994, quelque 56,3 millions de kilogrammes de glyphosate avaient été utilisés dans le monde, contre 825,8 millions de kilogrammes en 2014. 

Plus connue sous le nom de Roundup, la principale formulation originale du glyphosate, est également beaucoup utilisée dans les fermes africaines, notamment celles d’Afrique du Sud, grande consommatrice de pesticides.

Une étude datant de 2014 a évalué la valeur du glyphosate (2) dans le secteur agricole sud-africain, en mettant l'accent sur la saison agricole 2012/13. Elle a conclu qu'il était l'herbicide le plus utilisé dans le pays et, en 2012, plus de 23 millions de litres de glyphosate avaient été vendus, pour une valeur estimée de 641 millions de rands, soit environ 26 milliards de Francs CFA. 

Toutefois, en Afrique Sud aussi bien qu'en Europe, de nombreuses voix s'élèvent pour réclamer l'interdiction du pesticide adulé des agriculteurs, qui louent son efficacité, et honni d'une partie de la société civile, qui le soupçonne d'être cancérigène.
 
Au début de l'année, une quarantaine d'ONG européennes ont ainsi lancé une initiative citoyenne (3) appelant à l'interdiction du glyphosate, "conformément aux dispositions européennes sur les pesticides, qui interdisent l’usage de substances cancérigènes chez l’homme".
 
En ce mois d'octobre, la Commission européenne soumettra au vote une proposition de renouvellement pour dix ans de l'autorisation de cette substance, classée cancérigène probable par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC).

“Dès lors qu'il y a de fortes suspicions quant à la toxicité d'une molécule donnée et que des preuves scientifiques n'ont pas été établies quant à son innocuité, le bon sens recommanderait de suspendre son utilisation.”

Amadou Diop
Université Cheikh Anta Diop de Dakar

Faute d'avoir les capacités requises pour mener une évaluation sérieuse, les décideurs africains vont probablement suivre avec attention toute décision de l'Union Européenne sur la question, d'autant plus qu'un grand nombre de pays africains s'approvisionnent en intrants agricoles sur les marchés européens.
 
Kathryn Guyton, chercheuse au CIRC, a déclaré dans une interview à SciDev.Net que l'organisation a "classé le glyphosate dans le groupe 2A, probablement cancérigène pour l'homme." (4)

Ce groupe correspond, dans la monographie (5) des produits cancérigènes du CIRC, à un total de 80 agents jugés potentiellement dangereux.
 
"Ceci est basé sur des preuves limitées que le glyphosate provoque du LNH (Lymphome non hodgkinien) chez l'homme, et des preuves suffisantes que le glyphosate provoque un cancer chez les animaux de laboratoire", précise Kathryn Guyton.
 
Le CIRC a également conclu qu'il y avait des preuves "solides" de génotoxicité, tant pour le glyphosate "pur" que pour les formulations de glyphosate.
 
Toutefois, l'évaluation du CIRC a été contredite, aussi bien par l'Agence européenne de sécurité des médicaments (Efsa) que par l'Agence européenne des produits chimiques (Echa).
 
Le CIRC insiste sur le fait qu'il ne fait pas de commentaires sur les évaluations d'organismes de santé tiers. "Le programme de monographies fournit des évaluations scientifiques basées sur un examen complet de la littérature scientifique, mais il incombe aux gouvernements et aux autres organisations internationales de recommander des règlements, des lois ou des interventions en matière de santé publique", précise l'organisation.
 
Il convient de noter que les divergences dans les résultats obtenus par les différentes agences citées s'expliquent en grande partie par les approches méthodologiques utilisées.
 
Certaines agences s'intéressent ainsi uniquement au glyphosate, tandis que d'autres vont au-delà de cette molécule et intègrent les différents adjuvants utilisés pour obtenir diverses formulations ; par ailleurs, certaines études sont effectuées in vitro, sur des animaux de laboratoire, tandis que d'autres portent sur la santé des agriculteurs.Quoi qu'il en soit, en Afrique, où l'utilisation du glyphosate est très répandue, le débat agite aussi les sphères publiques, notamment en Afrique du Sud et au Bénin, où une ONG a appelé à l'interdiction de la molécule.
 
Au Sénégal, la communauté scientifique s'est récemment prononcée sur la question.
 
Amadou Diop, maître de conférences agrégé en chimie analytique et bromatologie, en service au laboratoire de chimie analytique et bromatologie de la Faculté de médecine, pharmacie et odontologie de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, note que "le glyphosate est utilisé dans la culture du riz dans la Vallée du Sénégal, mais aucune étude n'a été menée au Sénégal sur cette molécule".
 
"Toutefois, du point de vue de sa structure chimique, cette molécule ne pose pas de problème. Le problème se pose peut-être au niveau de sa génotoxicité", poursuit-il.

Mais pour le professeur Diop, "dès lors qu'il y a de fortes suspicions quant à la toxicité d'une molécule donnée et que des preuves scientifiques n'ont pas été établies quant à son innocuité, le bon sens recommanderait de suspendre son utilisation, le temps d'être éclairé par la science. C'est l'attitude que nous autres Africains devrions adopter."
 
Interrogée sur la possibilité pour Monsanto de suspendre la production du Roundup, dans l'intérêt de la santé publique, le temps que la communauté scientifique parle d'une même voix, la compagnie américaine a répondu à SciDev.Net que "la réalité est que la sécurité du glyphosate est étayée par l'une des bases de données mondiales les plus vastes sur la santé humaine, les cultures et l'environnement, jamais compilées sur un produit pesticide. Dans des évaluations couvrant quatre décennies, la conclusion écrasante d'experts dans le monde entier a été que le glyphosate peut être utilisé en toute sécurité. Comme tous les pesticides, les autorités réglementaires du monde entier examinent régulièrement les dernières données de sécurité sur le glyphosate. Pour être clair : aucune agence de réglementation dans le monde n'a conclu que le glyphosate est un agent cancérigène."

Roundup4
Copyright 2017 James Copeland/SDN
• Le glyphosate est un utilisé pour combattre les mauvaises herbes
• A ce jour, environ 9,4 M de tonnes ont été pulvérisées dans les champs
• Le produit a été approuvé pour la première fois aux Etats-Unis en 1974
• Il est un ingrédient actif dans les herbicides Roundup
• Plus de 750 produits contenant du glyphosate sont vendus aux USA

Amadou Diop, qui est membre de la Commission nationale de gestion des produits chimiques (CNGPC) du Sénégal, indique que la problématique de la cancérogénicité du glyphosate n'a pas fait l'objet d'un débat formel au sein de la commission.
 
Il promet toutefois de soumettre le problème à ses collègues, lors d'une prochaine rencontre de la commission.

Pour sa part, Serigne Omar Sarr, chercheur au laboratoire de chimie analytique et de bromatologie de la Faculté de médecine de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, invite à la prudence.
 
"On a tout le temps ce genre de situations où, du jour au lendemain, on décrète que telle molécule est toxique, alors que pendant des dizaines d'années, elle n'a pas posé de problème." 
 
Il s'agit de questions sérieuses qui ont des impacts en matière de sécurité alimentaire, estime-t-il, avant d'ajouter : "Il n'y a pas de médicaments qui ne soient pas toxiques". 
 
Toutefois, il reste à savoir dans quelle mesure une éventuelle interdiction du glyphosate – au moins à l'échelle d'un pays quelconque de l'Union européenne – pourrait affecter la sécurité alimentaire, en raison de la popularité du pesticide auprès des agriculteurs.
 
"Il y a des produits de substitution aussi efficaces que le glyphosate", s'insurge Amadou Diop.
 
"Il y a une panoplie de molécules susceptibles de remplacer valablement le glyphosate. En général, les organes phosphorés sont utilisés comme des insecticides, sans oublier les biopesticides", ajoute le chercheur.
 
Mais au-delà de ces questions, Amadou Diop estime que l'approche recommandée reste une gestion intégrée des cultures.
 
"Tous les micro-organismes du sol ne sont pas nuisibles pour les cultures", soutient-il, avant de relever qu'une utilisation excessive de pesticides appauvrit le sol.
 
"Au lieu d'avoir des rendements améliorés, bien souvent, en utilisant des quantités de pesticides non adaptées, on obtient l'effet contraire", fait valoir le chercheur.

Références

(1) Statistiques sur l'utilisation du glyphosate dans le monde (en anglais)
(2) Évaluation de la valeur du glyphosate dans le secteur agricole sud-africain (en anglais)
(3) Annexe à l'initiative citoyenne européenne : Interdire le glyphosate et protéger les habitants et l’environnement des pesticides toxiques
(4) Monographies du CIRC – Volume 112 : Evaluation de cinq insecticides et herbicides organophosphorés (en anglais).
(5) Agents classés dans les monographies du CIRC (en anglais).