02/10/17

Quand le cacao alimente la déforestation en Côte d’Ivoire

Cocoa Plantation
Crédit image: Paweł Opaska

Lecture rapide

  • Au moins 90% des aires protégées se sont transformées en cultures de cacao
  • L'ONG Mighty Earth met directement en cause l'industrie du chocolat
  • Le gouvernement promet de recouvrer 50% de la superficie forestière d’ici à 2050

Envoyer à un ami

Les coordonnées que vous indiquez sur cette page ne seront pas utilisées pour vous envoyer des emails non- sollicités et ne seront pas vendues à un tiers. Voir politique de confidentialité.

Dans un rapport publié mi-septembre, l'ONG Mighty Earth, accuse les grandes firmes du secteur du chocolat d’être à l'origine de la déforestation en Côte d'Ivoire, avec la collusion de producteurs de cacao installés illégalement dans des aires protégées.
 
Le rapport indique que 90% (voire plus) des aires protégées se sont transformées en cultures de cacao, alors que les forêts denses ne recouvrent plus que 4 % du territoire.
 
La conséquence marquante de cette déforestation est que les chimpanzés des forêts ivoiriennes ont été chassés de leur habitat naturel et vivent désormais dans des poches de forêts, note le rapport.

“Ce n'est pas la guerre, ni la crise en Côte d'Ivoire, qui est à l'origine de cette situation. Notre imagerie satellitaire le prouve.”

Etelle Higonnet
Directrice de campagne à Mighty Earth

La déforestation a également contribué, selon les auteurs, à réduire de manière drastique la population d'éléphants, passée de quelques milliers il y a un demi-siècle, à 200-400 aujourd'hui.
 
Pour Etelle Hignonnet, directrice de campagne de Mighty Earth pour l'Asie du sud-est et l'Afrique, la faute incombe avant tout à l'industrie chocolatière.
 
"Ils ont fermé les yeux [sur ces pratiques]", assure-t-elle, dans une interview à SciDev.Net.
 

Et d'ajouter que les forêts d'autres pays, notamment le Ghana, la RDC, l'Indonésie et le Pérou, subissent le même sort.

 

Patrimoine

 
D’après les statistiques nationales, la Côte d'Ivoire comptait 16 millions d'hectares de forêts dans les années 1960. Mais cette surface forestière s’est réduite comme peau de chagrin au fil des ans, entre autres en raison de la croissance démographique, liée surtout à la culture du cacao, pour se situer à ce jour à environ 6 millions d'hectares.
 
Aussi, le pays compte en théorie un réseau de 14 aires protégées, dont huit parcs nationaux, quatre réserves partielles, une réserve intégrale et une réserve scientifique, soit 2.1 millions d’hectares de biotopes, un potentiel biologique de 1078 espèces animales et de plus de 4800 espèces de la flore forestière ouest-africaine. 
 
D’après le rapport de Mighty Earth, "plus de 90% des terres de ces zones protégées sont aujourd’hui recouvertes de cacaoyers".
 

"Situation préoccupante"

 
"Le fait que cette organisation fasse un lien entre la cacaoculture et la destruction de nos forêts n’est pas surprenant", confie à SciDev.Net Oumar Kanté, coordinateur en éducation de la représentation ivoirienne de l’Association du Calao, une ONG internationale engagée dans la conservation de la biodiversité.
 
Pour lui, il s’agit d’une "situation très préoccupante".
 
"Nos forêts sont en train de disparaître. Ces forêts qui jouent un rôle important dans l’équilibre de nos écosystèmes disparaissent avec la faune. J’espère que ce rapport fera prendre conscience à chacun qu’il y a des choses à faire et que ces choses ne peuvent pas attendre", affirme-t-il.
 
Un plaidoyer saisi au bond par le directeur général de l’Environnement et du Développement durable au ministère de l’Environnement, de la Salubrité et du Développement durable, Gustave Aboua Aboua, pour qui cette étude "ouvre une grande fenêtre sur la dégradation des forêts ivoiriennes". 
 
Une situation qui, explique-t-il, est fortement due à la décennie de crise militaro-politique qui a secoué la Côte d’Ivoire dans les années 2000.
 
Toutefois, selon Etelle Higonnet, "ce n'est pas la guerre, ni la crise en Côte d'Ivoire, qui est à l'origine de cette situation. Notre imagerie satellitaire le prouve. La situation est tellement semblable d'un pays à l'autre qu'on ne peut vraiment pas incriminer les gouvernements. Mais ils sont les responsables de deuxième niveau, après l'industrie du chocolat."

 

Réponses gouvernementales

 
Face à l’impact de cette pression sur les forêts, assure Gustave Aboua Aboua, le gouvernement ivoirien oppose des réponses, visant à terme la reconstitution des forêts détruites, mais aussi à renforcer la protection de celles qui existent encore. 
 
Le responsable ivoirien fait toutefois observer que certaines de ces aires protégées, les parcs de Taï (Ouest) et de la Comoé (Centre et Nord-est), ont été effectivement protégées et n’ont pas connu d’intrusion durant la période d’instabilité.
 
"Ces deux exemples montrent que l’Etat est engagé, non seulement à restaurer le couvert forestier, mais également à permettre à la Côte d’Ivoire d’avoir une biodiversité forestière riche et une forêt qui s'inscrit dans la logique de la lutte contre le changement climatique".
 
Pour sa part, Coulibaly Siaka Ibrahim Minayaha, directeur de cabinet du ministère de l’Agriculture et du Développement rural, a indiqué que le gouvernement a pris le problème à bras le corps, et "une déclaration est prévue à cet effet en prélude à la COP 23 pour que se concrétise l’engagement de l’Etat ivoirien à faire en sorte que la production se fasse dans les zones réservées, conformément à notre concept Cacao, ami de la forêt."
 
Depuis la fin de la crise, le pays qui s’est doté d’un nouveau code forestier, a lancé plusieurs projets de restauration forestière et de protection de la biodiversité.   
 
Des opérations de déguerpissement ont été menées dans des aires protégées, notamment dans l’Ouest (Mont Péko) et d’autres sont en voie d’exécution.
 
Par contre, de l’avis d’Oumar Kanté, de l’Association Calao, ces déguerpissements restent inefficaces.
 
Et cela, "pas seulement pour cause de complicité de certaines autorités comme le dit le rapport, mais par insuffisance de moyens pour les structures en charge de la protection de nos aires protégées, ce qui constitue un obstacle dans l’exercice de leurs actions".
 
A côté de ces actions, l’Etat a mis en œuvre un programme dénommé "agriculture intelligente", destiné à "concilier cacaoculture et foresterie".
 
D’après Gustave Aboua Aboua, "il s’agit d’une reconversion des technologies agricoles, qui vont dorénavant s’appuyer sur l’existence des forêts pour produire le cacao et le café et encourager la reconstitution forestière".
 
Oumar Kanté juge pour sa part ce plan plus réaliste, estimant qu’il serait "difficile de demander à ce pays dont la richesse première provient de l’agriculture, surtout de la filière cacao (15% du PIB, et plus de 50% des recettes d'exportation, selon la Banque mondiale), d’arrêter sa production".
 
"Il est quand même possible de proposer une agriculture qui se réconcilie avec la forêt", suggère-t-il. 
 
Ce plan d’agriculture intelligente ne prend pas en compte les plantations industrielles comme l’hévéa, l’anacarde, le palmier à huile, etc., "mais la reconstitution de vraies forêts, avec une cohabitation de plusieurs espèces et la valorisation de la richesse de la biodiversité".
 
"C’est-à-dire des forêts où on peut trouver toute la richesse faunique, floristique, et aussi avoir des cours d’eau qui puissent vraiment refléter les forêts vierges comme on l’entend".
 
"Il faut aujourd’hui trouver un juste milieu et permettre un tampon qui favorise la cohabitation entre les forêts existantes, c’est-à-dire résiduelles, et l’agriculture", insiste Gustave Aboua Aboua.

“La science travaille beaucoup à augmenter la productivité par unité de surface, afin de reconstituer partiellement les forêts détruites et de disposer d’espaces pour avoir le même rendement.”

Pokou Désiré
Chercheur au CNRA

L'Etat a également mis en place le projet "Une école, cinq hectares de forêt" qui consiste à sensibiliser et impliquer les établissements scolaires dans le reboisement.
 
"Ce projet marche déjà assez bien ; on aura des milliers d’hectares de forêts reconstruites grâce à nos élèves, qui sont désormais sensibilisés à l’importance de la forêt dans l’économie nationale".
 
Un autre programme, la Stratégie Nationale de Réduction des émissions issues de la déforestation et de la dégradation forestière (REDD+), est en cours.
 
Il s'agit d'un vaste projet de reboisement sur toute l’étendue du territoire national, dont les pilotes ont été lancés dans l’Ouest, dans le Sud comme dans le Nord du pays. 
 
Au-delà de "marier l’agriculture et l’existence forestière", ce projet encourage, par des récompenses, les meilleurs parmi les exploitants qui s’adonnent au reboisement.
 
Il est aussi prévu une réforme de la fiscalité et de la comptabilité, qui tiendra compte des citoyens qui créent des forêts, des réserves forestières, afin que ceux-ci reçoivent en contrepartie des revenus.
 

200.000 hectares d’ici 2030

 
Toutes ces initiatives, annonce le directeur général du Développement durable, visent à recouvrer 20% de la superficie forestière du pays d’ici à 2030, et 50 % d’ici à 2050.
 
"Mais cela nécessite un bon encadrement, une bonne éducation, comme cela s’est fait en Allemagne, un pays autrefois dévasté après la deuxième guerre mondiale, mais qui est aujourd’hui cité en exemple comme l'un des pays les plus verts au monde. Nous pouvons copier ces bons exemples et transformer l’Ivoirien en éco-citoyen", assure Gustave Aboua Aboua.
 
Il faudra par ailleurs mobiliser des moyens matériels et humains pour permettre aux services de la protection et de la sauvegarde des aires protégées de réussir leur mission, ajoute pour sa part Oumar Kanté.
 
Pour lui, "deux causes occasionnent l’agression de nos forêts : la pauvreté et l’ignorance par les populations des relations entre l’homme et la nature".
 
"Il faut donc lutter contre la pauvreté, en créant d’autres activités économiques autour de ces parcs qui pourraient impliquer les populations environnantes dans leur protection", propose-t-il.
 
Pokou Désiré, chercheur au Centre National de recherche agronomique, reconnaît l'ampleur du phénomène de la déforestation.
 
"Le cacao a effectivement contribué, par un système extensif de culture, à réduire la surface forestière en Côte d’Ivoire", explique-t-il dans une interview à SciDev.Net.
 
"C’est pourquoi, poursuit-il, la science travaille beaucoup à augmenter la productivité par unité de surface, afin de reconstituer partiellement les forêts détruites et de disposer d’espaces pour avoir le même rendement que ce qu’on obtenait avec les espaces de grande superficie."

Nous développons des variétés à haut rendement, mais aussi des itinéraires techniques pour accompagner ces variétés, de sorte que si vous aviez l'habitude de faire deux tonnes sur trois hectares, vous pourrez désormais obtenir ces deux tonnes sur un hectare et pourrez développer d’autres cultures sur le reste de votre surface sans avoir besoin de l’étendre."
 
Pour tous ces experts, il faut s’attaquer aussi à d’autres causes humaines que la cacaoculture favorisant la dégradation des parcs et réserves nationaux et l’environnement. Il s'agit de  l’orpaillage clandestin, de la recherche de bois de chauffe et de la fabrication de charbon de bois. 
 
A ce propos, un "charbon écologique" obtenu à partir de déchets ou de résidus de coco est en expérimentation. Une réussite de ce projet permettra aux acteurs de ne plus se tourner vers les forêts pour leurs besoins en la matière, indique Gustave Aboua Aboua.
 
En attendant, en Côte d’Ivoire, la production cacaoyère est en passe de franchir cette année la barre des deux millions de tonnes…

Pour ce qui est des accusations portées contre l'industrie du cacao, les principaux acteurs du secteur n'étaient immédiatement disponibles pour des commentaires.